Alice Ronfard, grande lectrice, amoureuse de Michel Tremblay et de Shakespeare

Karine Vilder
La metteuse en scène Alice Ronfard s’est lancée dans un projet fou : monter La traversée du siècle de Michel Tremblay, un spectacle de 12 heures présenté dans sept théâtres différents à compter du 26 août. On en a profité pour l’interroger sur ses grands moments de lecture.
Vous vous rappelez avec quel roman vous avez commencé à aimer la littérature ?
Jeune, je n’avais pas le droit à autre chose que de la grande littérature. Mes parents étaient très stricts là-dessus. Que des grands livres, donc, et ça a marqué ma façon d’aborder la lecture.
À ce sujet, j’ai un souvenir très précis. Je suis au parc La Fontaine avec, dans les mains, Les chants de Maldoror du comte de Lautréamont. J’ai 13-14 ans, je ne comprends rien à ce que je lis parce que c’est un texte quand même assez difficile, mais pour moi, c’est très beau. J’avais le sentiment qu’il y avait quelque chose de « wow » dans la littérature parce que je n’en comprenais pas le sens et que j’en adorais les mots !
Nadja d’André Breton est aussi un livre qui m’a intéressée. Il raconte une rencontre amoureuse entre Breton et une femme qui incarne tous les idéaux. L’univers est réaliste, mais, en même temps, il n’est pas concret. Ça donne quelque chose d’assez particulier !

Récemment, quel livre avez-vous découvert et beaucoup apprécié ?
J’ai beaucoup aimé Tableau final de l’amour de Larry Tremblay. En partant, j’aime le peintre, qui est Francis Bacon, et j’aime l’écriture de Larry Tremblay. Cette relation tumultueuse entre le peintre et ce jeune homme qui vient pour voler le peintre m’a happée. De façon générale, tout ce qui touche à la peinture m’intéresse !

Et quels romans ont été pour vous d’immenses coups de cœur ?
Un must pour moi, c’est Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez. J’ai lu ça sur le bord du fleuve à La Malbaie. Pour l’imaginaire et la lignée, ça rejoint un peu La traversée du siècle.
Lu en Provence devant les montagnes, il y a aussi L’œuvre de Dieu, la part du Diable de John Irving. Pour le débat philosophique sur l’avortement, c’est épique et brillant. Et puis l’histoire est tellement bien écrite !
Autre livre important, L’amant de Marguerite Duras, que j’ai dévoré dans un parc de Montréal. Une fois qu’on se plonge dedans, on n’en sort pas tant que ce n’est pas fini.

Il y a également ce très grand chef-d’œuvre de la littérature, L’art de la joie de Goliarda Sapienza. Pendant près de 40 ans, ce livre extraordinaire a été interdit de publication à cause de la sexualité qu’il contient. J’ai lu cette fantastique épopée il y a quelques années et je reste avec ce souvenir d’avoir été clouée au divan, de ne pas pouvoir bouger tant j’étais happée. J’ai tellement aimé que c’est maintenant un livre que j’achète et que j’offre chaque Noël à quelqu’un.

Je termine avec Une vie pour deux de Marie Cardinal, dont j’ai toujours dit que c’était le meilleur livre. L’histoire de ce couple m’a obsédée.
Quels grands classiques souhaiteriez-vous aussi ajouter à cette liste de coups de cœur ?
Les Troyennes d’Euripide, évidemment, et tout Shakespeare, notamment Le roi Lear et La tempête, que j’ai monté à peu près 20 fois.
Est-ce qu’il y a un roman dont vous aimeriez parler parce qu’il vous hante encore ?
Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry, une lecture qui nous fait rentrer dans quelque chose de troublant. La littérature, ça doit me troubler, me projeter dans un univers que je ne connais pas. Ici, on est dans le voyage intérieur, avec cet homme qui s’enfonce dans l’alcool...

Le quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrell est également exceptionnel. À un moment donné, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose avec ça au théâtre.
De tous les livres de Michel Tremblay, lequel occupe pour vous une place particulière ?
J’aime beaucoup La Diaspora des Desrosiers, une épopée qui se poursuit à travers neuf romans. De tous les livres de Michel Tremblay, je dirais que ce sont ceux qui m’ont happée le plus. Mais Victoire ! est aussi très, très beau, tout comme Le peintre d’aquarelles.

Côté théâtre, est-ce que vous avez une pièce fétiche ?
La tempête de Shakespeare, que je remonte inlassablement tous les deux ans dans les écoles ou pour les enfants. Ça doit être une pièce fétiche parce que je finis toujours par y revenir !
Une fois La traversée du siècle terminée, que comptez-vous lire pour décrocher ?
Je ne vais rien lire. Je compte arrêter de regarder des textes, de lire et de relire pour prendre des notes. Autrement, si je lis, je ne vais pas décrocher ! Je ne fais que ça, moi, lire du matin au soir. Alors quand je suis en congé, je ne lis pas.