Aîné, cadet, benjamin... et si votre personnalité était déjà écrite?
Élise Fiola
J’ai trois frères et sœurs, et dès mon premier souffle, j’ai hérité du rôle de benjamine. Un rôle dont je ne me plains pas, quoique...
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Bien qu’on soit maintenant tous devenus grands, je réalise qu’il y a certaines choses qui restent inchangées. Par exemple, lorsque je prends l’auto avec un membre de ma famille, aucune discussion possible: ce ne sera pas moi qui prendra le volant, même si j’ai mon permis de conduire depuis plusieurs années. Du haut de mes 27 ans, je reste «le bébé», «la petite sœur», «celle dont on doit s’occuper». Et plus je vieillis, plus je me rends compte que ces étiquettes, qui m’ont collé à la peau dès l’enfance, ne sont pas réservées à ma propre fratrie, mais qu'elles ont été apposées à bien d’autres «petits derniers».
«Quand je vais dans un chalet avec ma famille, personne ne s’attend à ce que j’apporte quoi que ce soit ou que je participe activement aux préparatifs», me racontait une amie, elle aussi benjamine. Le pire, c’est que ces préjugés s’immicent subtilement dans nos perceptions. L’autre jour, en écoutant une amie parler des grandes ambitions professionnelles de sa nouvelle fréquentation, j’ai pensé tout haut: «C’est normal, il est l’aîné de sa fratrie... responsable, ambitieux. Un leader né, quoi.» Comme si ça allait de soi!
Et puis il y a ma collègue, enfant unique, qui s’est (un peu) insurgée quand, à la blague, j’ai pointé son raisonnement individualiste en soulignant un stéréotype bien courant: «Ce n’est pas parce que je suis enfant unique que je suis forcément égoïste!»
On a tous déjà entendu ce genre de phrases. Et, je dois l’admettre: je les ai moi-même prononcées plus d’une fois, un peu comme on utilise l’astrologie pour décoder les comportements de ceux qui nous entourent — un raccourci pratique, rassurant. On met les gens dans des cases toutes faites (un Capricorne? Une benjamine?), comme si leur position dans la fratrie ou leur signe solaire suffisait à expliquer leur personnalité.
Mais justement... est-ce que ça tient la route? Est-ce que l’ordre dans lequel les gens viennent au monde influence réellement la personne qu’ils deviennent? Ou est-ce qu’on s’accroche à ces stéréotypes parce qu’ils sont simples, familiers, et qu’ils nous donnent une impression de contrôle sur un sujet aussi complexe que le fondement de la personnalité?
C’est la question que j’ai posée à la Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. Rapidement, elle remet les pendules à l’heure: selon elle, oui, l’ordre de naissance peut avoir une certaine influence. Attention, cependant: on aurait tort de surestimer son importance.
«Il y a tellement d’autres variables qui entrent en ligne de compte, explique-t-elle. La taille de la famille, les différences d’âge entre les enfants, la présence ou l’absence d’un parent, la qualité du lien affectif, les événements de la vie... Tout ça pèse souvent beaucoup plus lourd dans la balance que la simple question de qui est né en premier.»
Une famille, mille réalités
Dans les familles d’autrefois, souvent nombreuses, les rôles semblaient presque prédéfinis par le sexe et le simple ordre d’arrivée dans la fratrie. La fille aînée prenait soin des plus jeunes, parfois au point de devenir un troisième parent. Le benjamin, souvent le plus gâté, avait tout, tout cuit dans le bec, et risquait de devenir un adulte immature. Mais cette dynamique reposait sur un contexte social très différent d’aujourd’hui. Les familles comptaient souvent plus d’enfants, ce qui entraînait un plus grand écart d’âge entre le plus jeune et l’aîné. Les formats familiaux étaient plus traditionnels (un père et une mère sous le même toit), avec des rôles genrés plus marqués. Et cette époque, même si elle peut sembler lointaine, n’est pas si ancienne.
Aujourd’hui, les familles sont moins nombreuses, plus éclatées, plus diverses, souligne la psychologue. Entre les familles recomposées, les enfants uniques, les demi-frères et les demi-sœurs qui viennent partager le quotidien, difficile alors de généraliser. Les dynamiques d’antan se brouillent, se recomposent, et l’ordre de naissance n’a plus la même portée.
Le contexte familial est souvent bien plus déterminant que le stéréotype qu’on associe à un enfant, révèle la spécialiste. Pour imager ses propos, elle explique différents schémas où un benjamin pourrait être plus mature qu’un aîné selon le contexte dans lequel il évolue. Prenons deux aînés: l’un grandit dans une famille aimante et stable, l’autre dans un foyer monoparental secoué par la violence. Le premier a peut-être la liberté de rester un enfant, mais le second, lui, devient adulte trop vite, joue le rôle de protecteur, de confident, parfois même de parent. Le contexte le pousse à développer des traits qui façonneront sa personnalité bien au-delà du rang qu’il occupe.
Des exemples comme celui-là, il en existe des milliers, sans compter que les rôles sont à se redistribuer selon les aléas de la vie — un parent quitte le noyau familial, un enfant avec un handicap se joint à la famille, par exemple.
Une histoire de perceptions
Il est cependant vrai que certains stéréotypes peuvent devenir des rôles que l’on joue comme on nous les attribue, de façon inconsciente. Cette idée que l’aîné doit être responsable, que le cadet sera rebelle ou que le bébé sera gâté peut influencer l’attitude qu’on a face à eux — et qu’ils ont face à eux-mêmes.
«Parfois, quand on entend les enfants d’une même famille parler de leur mère ou de leur père, on a l’impression qu’ils ne parlent pas de la même personne, note la Dre Grou. On vit tous une version différente de nos parents, influencée par notre âge, notre personnalité, le moment de leur vie où on est arrivés — et oui, peut-être aussi notre rang dans la fratrie. Mais encore une fois, ce n’est qu’un seul morceau du casse-tête.»
Quelle que soit notre place au sein de la famille, c’est plutôt la manière dont les parents investissent du temps, de l’énergie et de l’écoute auprès de chacun de leurs enfants qui joue un rôle clé dans leur développement. La manière dont les parents les élèvent et leur transmettent des valeurs sera déterminante dans leurs parcours.
Si l’on veut éviter que nos enfants soient catalogués dans des rôles prédéfinis dictés par les préjugés, la Dre Grou recommande aux parents d’être observateurs et de rester à l’écoute de ce que chaque enfant est, individuellement, sans projeter sur lui une identité qu’il n’a pas choisie. Car si la société semble plus vigilante face aux stéréotypes de genres, par exemple, il n’en demeure pas moins que ces rôles familiaux peuvent, à une autre échelle, devenir tout aussi limitants.
L’essentiel, c’est donc de ne pas réduire un enfant à un rôle prédéfini. Il faut lui offrir la liberté d’exister en dehors de son rang.
Et si l’on se rend compte que ces rôles ont parfois influencé la construction de notre propre personnalité, il faut pouvoir les remettre en question et honorer la complexité, l’unicité, la constante évolution de ce qu’on est en lien ou non avec notre fratrie. Et peut-être, ainsi, se permettre d’enfin échanger sa place, passer de passager à conducteur, et vice-versa.
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