3e lien: contradiction dans les rangs caquistes

Marc-André Gagnon
Le gouvernement Legault nage en pleine contradiction depuis que la vice-première ministre Geneviève Guilbault a officiellement enterré le volet autoroutier du projet de tunnel entre Québec et Lévis. Les arguments avancés pour justifier cette décision sont contredits par ses propres études. Plusieurs déclarations passées des ministres caquistes ont aussi mal vieilli.
• À lire aussi: 3e lien: 10 minutes d’écart pour rayer un projet de 10 G$
• À lire aussi: Pas de traitement de faveur pour l’abandon du 3e lien routier, assure Legault
• À lire aussi: «La population ne décolère pas»: Gilles Lehouillier et Éric Duhaime se sont rencontrés pour parler du 3e lien
« COÛTE QUE COÛTE »
« C’est une question d’être pragmatique. [...] Moi, je ne me considère pas comme quelqu’un qui est dogmatique puis qui dit : “Il faut absolument faire ça à tout prix” », a soutenu le premier ministre François Legault, mardi, en soulignant qu’il assume sa décision d’abandonner le troisième lien routier.
Lors d’un point de presse au terme d’un caucus de sa formation politique, en mars 2017, le chef caquiste avait pourtant dit : « On va – à tout prix – construire un troisième lien. »
Il y a un an, lors du dévoilement du « bitube » à 6,5 milliards $, le ministre des Transports de l’époque, François Bonnardel, avait répété la même chose, en ajoutant que son gouvernement irait de l’avant même si le fédéral refuse de financer 40 % de l’infrastructure.
« Ce tunnel sera construit, coûte que coûte, même sans le fédéral », avait juré M. Bonnardel.
UN TROISIÈME LIEN ROUTIER, C’ÉTAIT « BÉTON »
En mai 2021, lors du dévoilement en pleine pandémie du troisième lien « monotube », qui devait offrir six voies sur deux étages, François Legault s’était fait demander, sur une échelle de 1 à 10, à quel point il était certain que le projet se réalise.
« 10 sur 10 », avait répondu le premier ministre, sans hésiter.
« C’est un lien qui est nécessaire pour Québec, pour Lévis et pour tout l’est du Québec », avait insisté le chef caquiste.
Quelques jours plus tard, le ministre des Transports à l’époque, François Bonnardel, avait juré lui aussi que le projet se ferait tel que présenté.
« C’est béton. On s’en va sur ce qu’on a annoncé. Il n’y aura pas de retour en arrière », avait-il confié lors d’une entrevue avec notre Bureau parlementaire.
TROP TÔT POUR JUGER DE L’EFFET PANDÉMIQUE
Le projet de tunnel routier entre Québec et Lévis « a été nécessaire à une époque, mais la pandémie de trois ans a tellement modifié nos vies » que le gouvernement n’a pas eu le choix de changer de cap, a expliqué la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault.
La « synthèse générale du projet » de tunnel Québec-Lévis en date de mars 2023 réalisée par le Groupement Union des rives, chargé de l’avant-projet, mentionne pourtant clairement « que l’on est seulement au début d’une lecture tendancielle et [...] que la vraie situation postpandémique sera connue d’ici une à deux années ».
Une analyse complémentaire du ministère des Transports et de la Mobilité durable intitulée « Perspectives de l’effet du télétravail sur la nécessité d’intervention » en lien avec le projet de tunnel conclut également que « c’est l’année 2023 qui sera considérée comme année de référence valide postpandémique, étant donné que les données comporteront 12 mois complets de déplacements véhiculaires dans la nouvelle réalité du télétravail sans mesure de confinement ».
Le télétravail ayant « peu d’impact sur l’achalandage du réseau routier », il n’y a pas lieu de « remettre en cause la nécessité » d’un troisième lien, écrivent les experts du ministère.
UN TROISIÈME LIEN 100 % TRANSPORT COLLECTIF ÉTAIT ÉCARTÉ
Jusqu’à ce que François Legault et Geneviève Guilbault commencent à éviter de répondre à la question, en mars dernier, leur gouvernement avait toujours écarté la possibilité que le tunnel sous-fluvial entre Québec et Lévis soit dédié exclusivement au transport en commun.
C’est notamment une avenue qu’avait évoquée la députée solidaire à l’époque Catherine Dorion, qui avait fait valoir que « ça pourrait faire quelque chose d’extraordinaire ».
« Québec solidaire est contre les voitures », avait pesté la vice-première ministre Geneviève Guilbault, en juin 2021.
« Le problème de Québec solidaire, c’est qu’ils n’ont pas l’air conscients qu’en dehors du centre-ville de Québec, il existe des familles, il existe des voitures, [...] il existe des gens qui ont besoin de circuler », avait soutenu la vice-première ministre.
« On n’est pas là pour faire une guerre à l’auto », affirmait quelques mois plus tard, le député-ministre de Charlesbourg, Jonatan Julien.
IL Y AVAIT BIEN UN PROBLÈME DE PENTE POUR LES CAMIONS LOURDS
Le tunnel routier devait « profiter à l’ensemble des usagers de la route, y compris pour le transport de marchandises, pour tout l’est du Québec », avait déclaré le premier ministre François Legault, en mai 2021.
Quelques mois plus tôt, des experts avaient mis en garde contre la pente prononcée qui serait requise pour relier les deux centres-villes par un tunnel.
« Il n’y a pas de problème de pente », avait rapidement assuré François Bonnardel.
Sa successeure aux Transports, Geneviève Guilbault, a confirmé le 20 avril dernier que les camions lourds n’auraient pas été autorisés à emprunter le tunnel routier, pour des raisons de sécurité, ce qui n’avait jamais été annoncé jusque-là.
Pourtant, le gouvernement disposait de cette information aux dernières élections.
En effet, une « note technique » d’une centaine de pages concernant le « passage des véhicules lourds » avait été remise au bureau de projet le 7 septembre 2022.
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Vous avez un scoop qui pourrait intéresser nos lecteurs?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.