10 ans d’enquêtes: notre Bureau d’enquête a contribué à la loi sur le cannabis

Annabelle Blais
Peu de journalistes peuvent se targuer d’avoir fait changer des lois ou d’avoir participé à leur création. C’est pourtant ce qu’a réussi notre Bureau d’enquête en contribuant, par nos reportages, à la toute première loi de l’histoire du Québec pour encadrer le cannabis.
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À mon arrivée au Journal en 2016, je voulais faire ma marque. J’ai donc proposé un reportage où j’allais tenter de me faire prescrire du cannabis médical pour démontrer à quel point il était facile d’en obtenir sans être vraiment malade.
Grâce à ce reportage, j’ai eu ma face publiée en première page du Journal de Montréal avec les mains remplies de pot (désolée encore, maman) et je suis rapidement devenue la « madame cannabis » du Journal.
L’année suivante, j’ai joint l’équipe du Bureau d’enquête et avec la légalisation du cannabis qui s’approchait, il était tout naturel que j’enquête sur cette toute nouvelle industrie en plein essor.
Politiciens et paradis fiscaux
Il y avait alors beaucoup d’enthousiasme parmi les nouveaux joueurs de cette industrie, mais aussi un grand sentiment d’urgence. Tous devaient être prêts pour le jour J : le 17 octobre 2018. Les entreprises de production de cannabis poussaient comme des champignons et elles étaient toutes engagées dans une course contre la montre pour trouver des fonds et des investisseurs.
La légalisation avait comme objectif de mettre fin au marché noir. Rapidement, deux questions se sont posées à moi : à qui allait profiter la légalisation et d’où venait l’argent investi ?
J’ai découvert que de nombreux politiciens, dont plusieurs libéraux, et même d’anciens chefs de police se lançaient dans cette industrie. La chose était pour le moins ironique : ces personnes qui ont contribué à mettre derrière les barreaux des vendeurs de drogue devenaient alors les « pushers en cravate » qui allaient s’en mettre plein les poches.
Avec mon collègue Jean-François Cloutier, expert des paradis fiscaux, nous avons aussi découvert que plusieurs producteurs étaient financés par des investissements qui provenaient de paradis fiscaux, reconnus pour leur opacité. Comment le gouvernement pouvait-il alors garantir que l’argent du cannabis ne provenait pas d’individus louches et que des criminels n’allaient pas s’enrichir de la légalisation ?
- Écoutez l'entrevue avec Jean-Louis Fortin à l’émission de Richard Martineau via QUB radio :
Vérifications d’antécédents
Nos révélations sont tombées à point. Tant à Québec qu’à Ottawa, les députés en étaient à étudier les projets de loi qui allaient encadrer la légalisation du cannabis.
Nos reportages ont convaincu la ministre libérale Lucie Charlebois d’inclure des amendements dans son projet de loi afin que les fournisseurs de la Société québécoise de cannabis et leurs sources de financement soient scrutés par l’Autorité des marchés publics.
À Ottawa, des sénateurs, particulièrement Claude Carignan avec qui j’ai eu quelques échanges, ont aussi proposé des amendements au projet de loi pour obliger la divulgation de renseignements sur les investisseurs, mais ils ont été rejetés.
Santé Canada a tout de même élargi ses vérifications sur les antécédents judiciaires pour y inclure les investisseurs importants et pas seulement les dirigeants d’entreprises, avant d’accorder des permis à ces derniers.
Mais la brèche n’est pas colmatée pour autant. Nos reportages continueront de démontrer qu’encore aujourd’hui, les vérifications de Santé Canada demeurent en surface et certains producteurs entretiennent des relations avec des gens proches du crime organisé.
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