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Douze lois qui ont marqué le Québec

Dans cette série d’entretiens animée par Myriam Wojcik, la Fondation Lionel-Groulx s’intéresse à douze lois du droit civil qui, depuis la Confédération de 1867, ont structuré durablement le Québec comme société et nation uniques en leur genre. Si le Québec était un bâtiment, la loi en serait l’armature. S’il était une personne, la loi serait son squelette. Venez découvrir les défis et les solutions, les contraintes et les ambitions des époques de notre histoire qui ont conçu, adopté et mis en œuvre ces douze lois marquantes.

Loi sur les clubs de chasse et de pêche (1979)

Invité : Paul-Louis Martin, historien, ethnologue et professeur, Université du Québec de Trois-Rivières. Les clubs privés de chasse et de pêche sont apparus dans la seconde moitié du XIXe siècle. Très élevés, leurs frais d’adhésion ont pour effet de réserver ces loisirs aux riches Américains et Canadiens anglais. Les Québécois sont exclus de la plus grande partie des terres publiques. Il y a 2200 clubs privés en 1965 ! Dans la population, le mécontentement gronde au point que les gouvernements de l’Union nationale puis du Parti libéral commencent à racheter les droits. Mais c’est le ministre Yves Duhaime qui, en 1978, procède au « grand déclubage » : une opération sans coût pour les Québécois, car les membres des clubs ne perdent rien de ce qui leur appartient, seulement l’exclusivité du droit d’accès. C’est la naissance des zones d’exploitation contrôlées, les ZEC, un mode de gestion du territoire unique au monde. Dès la première année, 100 000 cartes de membres à 15 $ sont vendues – un chiffre qui témoigne avec éloquence de la soif des Québécois de retrouver enfin le chemin de leurs lacs et forêts.

12 décembre 2025
1:00:15

Loi créant le ministère de l'Agriculture et de la colonisation (1887)

Invité : Jean-Philippe Bernard - historien et professeur, Université du Québec en Outaouais. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, 900 000 Québécois émigrent aux États-Unis. C’est le tiers de la population totale de 1901. Imaginez si le Québec d’aujourd’hui perdait 2,5 millions d’habitants en 30 ou 40 ans ! Une des grandes raisons de cet exode est le manque d’accès aux terres. En 1887, le gouvernement d’Honoré Mercier crée ce ministère, si important à ses yeux qu’il en est lui-même le premier titulaire. Comme sous-ministre, il embauche le fameux curé Antoine Labelle, de Saint-Jérôme, qu’on qualifierait de nos jours d’ardent promoteur du développement économique régional. Une des missions du ministère est de favoriser l’ouverture de nouvelles terres pour y établir des agriculteurs. Des chemins de fer sont construits qui mènent au Saguenay, puis vers d’autres régions jusqu’en Abitibi. Des terres de 100 acres sont données aux familles de 12 enfants et plus. Par un travail de titan, les familles québécoises défrichent et créent nos régions.

05 décembre 2025
1:00:36

Loi sur les boissons alcooliques (1921)

Invitée : Catherine Ferland, historienne, autrice et spécialiste d’histoire culturelle et alimentaire du Québec. Début du XXe siècle : toute l’Amérique du Nord, travaillée par un fort mouvement puritain protestant, est sous l’empire de la prohibition de l’alcool. Toute? Non. Un coin, au nord-est, résiste encore et toujours. C’est le Québec. En 1898, Ottawa a organisé un référendum sur la prohibition. Les électeurs des autres provinces se sont prononcés majoritairement en faveur, tandis que 80 % des Québécois s’y sont opposés. Ici, l’Église catholique organise depuis le milieu du XIXe siècle des campagnes dont le slogan aurait pu être : « La modération a bien meilleur goût » ! Car l’objectif en est la « tempérance partielle » bien plus que la « tempérance totale ». En 1919, le gouvernement de Lomer Gouin, sous pression, est obligé d’organiser lui aussi un référendum. Sachant que la prohibition ne passera pas, il demande à la population de se prononcer sur la légalité de vendre du vin, de la bière et du cidre. Le oui l’emporte haut la main! Du coup, il n’interdit que les spiritueux. Et dès 1921, la Loi sur les boissons alcooliques lève cette prohibition. Nous voici aux origines de la SAQ.

28 novembre 2025
58:09

Loi sur l'instruction publique obligatoire (1943)

Invitée : Louise Bienvenue, historienne et professeure, Université de Sherbrooke. Le premier gouvernement ayant songé à une loi d’obligation scolaire est celui d’Honoré Mercier, en… 1875. Dans les années 1930, les positions idéologiques tranchées qui avaient jusque-là bloqué un tel projet commencent à bouger un peu. Les libéraux les plus anticléricaux perdent du terrain, tandis que quelques mots de l’encyclique de Pie XI en faveur de l’éducation obligatoire fragilisent l’hostilité de l’Église québécoise contre ce qui était pour elle un premier pas vers « l’école neutre ». Grâce au travail patient du ministre Hector Perrier et de ses alliés parmi les évêques, le Comité catholique de l’instruction publique adopte en 1942 à une forte majorité une résolution en faveur de l’obligation scolaire. La voie est ainsi dégagée pour l’adoption d’une loi l’année suivante. Les jeunes du Québec iront désormais à l’école jusqu’à l’âge de 14 ans. Puis 15, puis 16.

21 novembre 2025
57:23

Loi du Cadenas (1937)

Invité : Xavier Gélinas, conservateur en histoire politique, Musée canadien de l’histoire. Depuis la Révolution russe de 1917, tout l’Occident est sur les dents. Il faut contrer le « bolchévisme ». Ottawa rend le Parti communiste illégal en 1919, ce qui empêche celui-ci de présenter des candidats aux élections fédérales. L’Ontario fait de même jusqu’en 1943, avec le même effet sur les élections dans cette province. Rien de tel au Québec. Cependant, lorsqu’Ottawa lève l’illégalité du parti en 1936, les députés québécois, à l’unanimité (unionistes et libéraux), adoptent la « Loi du cadenas » ou Loi protégeant la Province contre la propagande communiste.  Cette loi permet notamment aux forces de l’ordre de cadenasser pour un an tout local servant à des communistes. La loi est déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême; mais en 1957 seulement, et au motif non pas qu’elle brime la liberté d’expression (ce qu’elle fait pourtant) mais parce qu’elle empièterait sur la compétence fédérale exclusive en droit criminel. Doit-on conclure à un consensus politique et juridique canadien de l’époque sur la légitimité de faire taire les communistes?

14 novembre 2025
1:01:39

Loi de l'Assistance publique (1921)

Invitée : Lucia Ferretti, historienne et professeure émérite, Université du Québec à Trois-Rivières. Pendant très longtemps, au Québec comme ailleurs, la solidarité sociale a pris la forme de l’entraide entre parents ou voisins, de la mobilisation communautaire à l’échelle du village ou de la paroisse, ou de la philanthropie. Mais après la Première Guerre mondiale, l’exode rural d’une part, et la grande pauvreté des classes populaires urbaines, de l’autre, font que ces moyens traditionnels ne suffisent plus. L’État doit intervenir. La Loi de l’Assistance publique aide les établissements qui hébergent les bébés abandonnés, les orphelins, les enfants, les vieillards, ainsi que les agences de services sociaux qui agissent auprès des familles. Jusqu’à son abrogation en 1971, cette loi de bien-être social a structuré les rapports entre l’État québécois et les organisations religieuses de toutes dénominations. Elle est un premier pas timide, mais fondamental, dans la genèse de l’État-providence québécois. La Loi de l’Assistance publique aide les établissements qui hébergent les bébés abandonnés, les orphelins, les enfants, les vieillards, ainsi que les agences de services sociaux qui agissent auprès des familles.

07 novembre 2025
59:36

Code civil du Bas-Canada (1966)

Invité : Jean-Philippe Garneau, historien et professeur, Université du Québec à Montréal. Très peu de gens ont déjà feuilleté un code civil. Pourtant, cet ensemble de règles de droit encadre nos vies à plus d’un titre : état civil et capacité juridique, relations familiales, propriété, contrat, responsabilité en cas de dommages à autrui, etc. Pour la première fois en 1866, le Code civil du Bas-Canada réunissait en un seul document, bilingue, l’ensemble des lois et des prescriptions civiles jusqu’alors éparpillées, mal connues ou jugées contradictoires. Il faisait entrer le Québec dans la « modernité » tout en réaffirmant avec fierté l’héritage juridique français au sein du Canada. Faire l’histoire de ce « monument national », l’un des symboles de la société distincte québécoise, c’est voyager dans le temps, depuis la Rome antique jusqu’aux combats féministes du XXe siècle, en passant par la France de Napoléon. C’est aussi mesurer la nature inégalitaire des rapports entre mari et femme et la faiblesse des recours offerts aux ouvriers. 

31 octobre 2025
59:57

Charte de la langue française (1977)

Invité : Éric Poirier, avocat. À l’automne de 1977, le ministre Camille Laurin prononce un discours à l’Assemblée nationale. Dans sa prose lyrique, la loi 101 apparaît à la fois comme un héritage et un projet. Réponse « à un appel qui monte du fond des siècles et que la conjoncture ne rend que plus pressant », la loi sera le déclencheur « d’autres reprises en main, d’autres appropriations et d’autres bonds en avant : gestion et aménagement du territoire, développement culturel, organisation sociale, stratégies économiques et, enfin, souveraineté politique ». Et il conclut : « À ce peuple, qui inaugurera demain une nouvelle ère de son histoire, je dis qu’il a bien mérité de lui-même, qu’il doit maintenant se faire pleinement confiance et qu’il est désormais en mesure de se préparer des lendemains qui chantent. »

24 octobre 2025
1:00:08

Loi sur les Centres de la petite enfance et autres services de garde à l'enfance (1997)

Invité : Pauline Marois, ex-première ministre du Québec. Les garderies à 5 $ ! Lorsque la Loi sur les Centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance est adoptée en 1997, cela fait 50 ans qu’on discute périodiquement de la mise en place d’un réseau de garderies publiques. L’opinion fait entendre toutes sortes d’arguments : « pour régler le problème du manque de places, les mères n’ont qu’à rester au foyer »; « les garderies ne concernent que les femmes en emploi »; « l’État ne doit pas concurrencer l’entreprise privée »; « les garderies sont bonnes pour les jeunes enfants ». Finalement, le réseau des CPE est instauré par la ministre Pauline Marois dans le cadre d’une politique familiale globale, visant trois objectifs : assurer une meilleure conciliation travail-famille, prolonger les congés parentaux, et favoriser la socialisation et la stimulation des tout-petits. Les CPE deviennent une référence mondiale. Pourtant, leur avenir sera bientôt compromis.

17 octobre 2025
59:39

Convention de la Baie-James et du Nord québécois (1975)

Invité : James A. O’Reilly, avocat. Au début des années 1970, le gouvernement du premier ministre Robert Bourassa veut développer le potentiel hydroélectrique québécois, tandis que les Cris et les Inuit veulent préserver leur mode de vie traditionnel et faire reconnaître leurs droits sur les territoires non cédés de la baie James et du Nord québécois. Une saga judiciaire impliquant 71 jours d’audition à la Cour supérieure s’ensuit. Le juge Malouf fait arrêter la construction du complexe La Grande par voie d’une injonction et reconnaît les droits des Cris et des Inuit. La Cour d’appel du Québec suspend ce jugement et la Cour suprême du Canada, dans un arrêt de trois contre deux, ne renverse pas cette suspension. Bien que réticents de négocier, les Cris et les Inuit entament des négociations en 1974 et des pourparlers mènent à une entente de principe en 1974 et, en 1975, à la signature du « premier traité moderne » au Canada : la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

10 octobre 2025
57:56

Loi sur l'impôt provincial sur le revenu (1954)

Invitée : Michèle Stanton-Jean, historienne et chercheuse, Université de Montréal. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les provinces ont accepté de céder à Ottawa leurs champs de taxation au nom de l’effort de guerre. Celle-ci finie, le gouvernement fédéral refuse de revenir au partage déterminé par la Constitution. Il défend plutôt l’idée que les provinces devraient être financées par Ottawa. En février 1954, les députés québécois adoptent la Loi créant un impôt sur le revenu. Le premier ministre Maurice Duplessis exige que cet impôt sur le revenu des particuliers de 15 % soit déductible de l’impôt fédéral : pour exercer ses juridictions, dit-il, le Québec doit pouvoir compter sur ses propres revenus. Ottawa refuse d’abord de négocier. Mais le texte de la Constitution et l’appui des Québécois à cette loi autonomiste l’obligent finalement à céder : c’est l’origine de « l’abattement pour le Québec » dans votre déclaration d’impôt. Dès lors, plusieurs des grandes réformes de la Révolution tranquille seront rendues possibles. 

03 octobre 2025
46:53

Loi relative à la conservation des monuments et des objets d'art ayant un intérêt historique ou artistique (1922)

Invité : Fernand Harvey, professeur associé, INRS. Après la Première Guerre mondiale, l’industrialisation et l’urbanisation s’accélèrent. La modernité semble en voie de chasser le passé. Le ministre Athanase David s’en inquiète. En 1920, une loi est adoptée pour créer ce qui deviendra les Archives nationales. Puis, première du genre au Québec et au Canada, la Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique de 1922 affirme l’importance de repérer, classer et conserver les monuments et œuvres d’art d’intérêt. Tout un travail de mémoire est alors entrepris qui aura des répercussions inattendues, dont l’essor du tourisme. Au fil du temps, dans toutes les régions du Québec, des monuments, des sites patrimoniaux ou archéologiques, des collections d’objets et même des éléments de patrimoine immatériel, des personnages et des paysages seront déclarés « historiques ». Petit voyage dans la devise : « Je me souviens ». 

03 octobre 2025
55:47
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