Voyages psychédéliques, communes, drames: retour sur l'histoire du LSD, au Québec et ailleurs dans le monde


Gabriel Ouimet
Découverts par accident il y a 80 ans, les effets psychotropes du LSD ont intéressé les psychiatres et la CIA, avant d’être popularisés par les hippies des années 60. Associé à la contre-culture peace and love, l’hallucinogène a aussi été lié à des événements tragiques et parfois mortels au Québec.
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Décédé le 29 avril 2008, l’inventeur de l’acide lysergique diéthylamide (LSD), Albert Hofmann, est réputé pour avoir fait du LSD jusqu’à l’âge de 97 ans. Son aventure psychédélique débute 65 ans plus tôt, le 19 avril 1943. Incertain de la cause d’une intoxication survenue trois jours auparavant alors qu’il manipulait du LSD, le chimiste ingère volontairement 250 microgrammes de LSD, au nom de la science. C’est le premier trip intentionnel de LSD.
En 1947, après des années d’expérimentation, Sandoz, la compagnie pharmaceutique qui employait Albert Hofman, commence à fournir du LSD à de nombreux psychiatres, psychologues et médecins à travers le monde. Les professionnels estimaient alors que la drogue pouvait rendre la psychothérapie plus efficace.

L’usage du LSD sort du cadre médical et rejoint le grand public américain dans les années 60. Ses effets psychédéliques sont alors promus par des nombreux artistes et icônes de la culture hippie. Il est particulièrement consommé dans les rassemblements étudiants et les mouvements anti-establishment.
Rapidement, les psychoses et les crises d’anxiété qui y sont associées lui donnent mauvaise presse. Le gouvernement américain commence à légiférer. La Californie et le Nevada deviennent les premiers États à l’interdire en 1965.
Voyages psychédéliques et communes québécoises
En 1967, une vague de LSD frappe le Québec quand plusieurs jeunes hippies américains décident de venir s’établir à Montréal, dans les quartiers entourant l’Université McGill, racontait en 2019 Guy Morin dans un article intitulé LSD: voyage psychédélique au Québec.
«Pour la plupart, il s’agit de fuir l’enrôlement dans l’armée américaine. Avec eux, les us et coutumes des hippies se propagent au Québec, dont l’usage de LSD», peut-on lire dans son article publié dans la revue Cap-aux-Diamants.
Dans ce contexte, des médias alternatifs voient le jour au Québec. Certains, comme la revue Mainmise, font ouvertement la promotion de la consommation de LSD et autres psychédéliques.

Surtout produit aux États-Unis, le LSD est vendu à bas prix. Les éditeurs de la revue montréalaise Logos en vendent même en toute légalité aux jeunes adultes qui désirent s’initier à la substance à Montréal, raconte Guy Morin.
Le sentiment d’amour universel induit par le LSD incite ses adeptes à partager leur expérience en groupe. Désireux de vivre une mode de vie basée sur la solidarité et l’amour, plusieurs hippies se dirigent vers la campagne pour y fonder des communes. En 1973, il y en aurait plus de 900 recensées dans la province. Plusieurs de ces communes sont de hauts lieux de consommation de LSD, malgré qu’il soit illégal au Canada à partir de 1969.
Le drame de la commune Cadet-Roussel
En juin 1975, un drame frappe la plus grande commune hippie du Québec, celle de Cadet-Roussel, à Morin-Heights, dans les Laurentides. Alors que les adultes célèbrent la fête du «Solstice de l’Utopie», deux enfants perdent la vie.
À l’époque, la tragédie n’est pas très médiatisée. Un reportage de la journaliste Émilie Dubreuil, publié par Radio-Canada en juin 2018, soit 43 ans après les faits, détaille la tragédie.

On y apprend que Nouane, âgée de 2 ans et demi, est retrouvée inerte dans une piscine. 12 heures plus tard, une fillette de 3 ans, appelée Elsa, meurt brûlée vive dans une tente où une chandelle a été laissée allumée.
Malgré la mort des enfants, la fête continue. Les parents d’une des victimes décident d’enterrer le corps de leur enfant sur le terrain de la commune, avant que la police ne vienne le déterrer quelques jours plus tard.
Un article du magazine Mainmise, publié à l’époque, raconte brièvement le drame. On peut y lire, dans un texte accompagnant une carte du ciel des enfants décédés, que la catastrophe s’expliquerait par des raisons astrales.

«Née le 28 novembre 1972, 23.56h., Nouane est Sagittaire; son ascendant en Vierge (15 degrés) en carré à Saturne: elle fut ainsi très sensible aux influences négatives de Saturne. De plus Uranus est semi-carré au Soleil et Neptune, facteur dominant de la noyade», justifie-t-on.
Interrogés dans le cadre de l’enquête, des témoins, enfants à l’époque, ont expliqué à Radio-Canada que l’insouciance des adultes présents, notamment en raison de la consommation de drogue, était en bonne partie responsable du drame.
MK-Ultra: le programme secret de la CIA à Montréal
Une des pages les plus sombres de l’histoire de la CIA – et du LSD – s’est écrite dans le plus grand secret à Montréal, avant que la drogue soit consommée à des fins récréatives.
Dans les années 60 et 70, un psychiatre à l’Institut Allan Memorial de l’Université McGill, le Dr Donald Ewen Cameron, a mené des expériences extrêmes sur des patients. Il leur administrait du LSD, avant de les soumettre à toute sorte de traitements, notamment des électrochocs et des séances de privation sensorielles.

Plusieurs de ces patients étaient cependant admis à l’hôpital pour des troubles aussi mineurs que la dépression. Ses expériences étaient financées par la CIA et pratiquées sans le consentement des patients ou de leur famille. Les expériences auraient laissé des séquelles permanentes à de nombreuses victimes et auraient même mené au suicide de certains.
Des dizaines de familles de ses victimes se battent toujours pour obtenir justice.