Voici les équipements qui changeront le visage de l’armée dans les prochaines décennies

Raphaël Pirro
Dans un monde de plus en plus incertain, le Canada fait face à une énorme pression de la part de ses alliés – et surtout, des Américains – pour augmenter ses dépenses militaires. Cette pression semble avoir eu un impact: au sommet de l’OTAN à Washington il y a quelques semaines, Justin Trudeau s’est finalement résolu à investir l’équivalent de 2% du PIB du Canada dans la Défense, à l’horizon de 2032. Mais dans les dernières années, le fédéral a déjà sorti le chéquier plus d’une fois pour moderniser l’équipement de ses forces armées. Navires de combat, avions de chasse, véhicules légers et lourds, drones: les contrats accordés à différents équipementiers qui sont inclus dans ce texte pourraient facilement dépasser les 100 milliards $. L’arrivée de ce matériel de pointe dans notre arsenal se fera sous la supervision de la Québécoise Jennie Carignan, nouvellement choisie comme cheffe d’état-major des Forces armées canadiennes. Voici un survol des acquisitions militaires qui changeront le visage de l’armée canadienne pour les décennies à venir.
Navires de combat de surface «Fleuves et rivières»
Quantité: jusqu’à 15
Première livraison prévue: début des années 2030
Coût estimé: entre 57 G$, selon Ottawa, et plus de 84 G$, selon le directeur parlementaire du budget
Fin juillet, le Canada a annoncé en grande pompe le début de la construction de ces navires de combat de surface (NCS). Construits pour être la principale plateforme maritime du navire, ces destroyers doivent être polyvalents: «Ils seront en mesure de partir rapidement en déploiement, n’importe où dans le monde, seuls ou au sein d’une coalition canadienne ou internationale, et ce, pendant de nombreux mois [...]», explique la Défense nationale. La nouvelle classe de destroyers sera baptisée «Fleuves et rivières» et les trois premiers exemplaires seront le Saint-Laurent, le Fraser et le Mackenzie, en l’honneur de grands fleuves canadiens et d’anciens bateaux de guerre employés par l’armée canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Les navires seront construits par section aux chantiers Davie, dans la région de Québec, et Irving, en Nouvelle-Écosse, avant d’être assemblés. Il s’agit du programme militaire le plus ambitieux – et le plus cher – d’entre tous.

Avions de chasse F-35A
Quantité: 88
Première livraison prévue: 2026
Coût estimé: 19 G$, selon Ottawa
Au terme de longues années de négociations et de tergiversations, le Canada a finalisé en janvier 2023 une entente avec l’armurier américain Lockheed Martin pour remplacer sa flotte d’avions de chasse CF-18 Hornet, un modèle qui a fait son apparition dans les années 1980 et que le gouvernement retirera progressivement d’ici 2032. Le ministère de la Défense estime que le F-35 représente ce qui se fait de plus «moderne, fiable et agile» sur le marché. Les F-35 serviront surtout pour leurs capacités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, mais ils sont aussi capables de tirer des missiles. L’interopérabilité a été l’un des facteurs ayant contribué au choix des F-35: plus de 3000 exemplaires ont été commandés à travers le monde, notamment par plusieurs alliés de l’OTAN. Il s’agit de l’investissement le plus important dans les forces aériennes du Canada en 30 ans. Ce contrat s’accompagne d’importants investissements pour moderniser les infrastructures actuelles afin de permettre d’accueillir ces avions sur nos bases aériennes, comme celle de Bagotville.

Aéronefs multimissions P-8A Poseidon
Quantité: jusqu’à 16
Dates prévues de livraison: 2026 à 2028
Coût estimé: 10,4 G$
La flotte à venir de P-8A Poseidon permettra de remplacer les CP-140 Aurora, en service depuis plus de 40 ans. Ces aéronefs multimissions, plus massifs que les avions de chasse, auront comme tâches principales de lutter contre les sous-marins et autres dispositifs antinavires ainsi que d’effectuer de la patrouille de surveillance. Les P-8A sont dotés d’un rayon d’action et d’une autonomie améliorés. Il s’agit d’un modèle développé par l’américaine Boeing. Le processus d’acquisition au Canada n’a pas fait que des heureux: Bombardier avait proposé un prototype qu’il jugeait plus abordable et plus avancé. Mais devant le P-8A Poseidon, le gouvernement avait un modèle déjà construit et mis en service par plusieurs de ses alliés, dont les États-Unis. Quatre P-8A Poseidon seront flambants neufs, et cinq seront achetés, puis reconvertis.

Véhicules blindés de soutien au combat (VBSC)
Quantité: 360 (comprenant huit variantes)
Date de livraison finale: d’ici 2027
Coût estimé: 2,5 G$
La catégorie des véhicules blindés de soutien au combat (VBSC) comporte huit variantes servant à des tâches différentes, incluant l’ambulance, le poste de commandement, le soutien à la guerre électronique ou encore le ravitaillement et la réparation. Le nouveau parc devrait comporter pas moins de 360 nouveaux VBSC. Certains véhicules de ce genre ont déjà servi lors d’opérations de sauvetage après des inondations au Québec. Le grand gagnant de ce contrat est l’américaine General Dynamics, qui fera construire l’essentiel des véhicules à London, en Ontario. Le parc devrait être complètement opérationnel dès 2027.

Véhicules logistiques légers et lourds
Quantité: en évaluation
Première livraison prévue: 2027
Coût estimé: entre 1 G$ et 5 G$
Les véhicules logistiques, qui viennent notamment en modèle léger et lourd, sont entièrement dédiés au déplacement du personnel, de l’équipement et des approvisionnements en appui aux opérations menées au pays et à l’étranger. Ce programme comporte aussi des remorques et des modules interchangeables. Selon la description du contrat qu’en fait la Défense, «ce nouveau parc moderne pourra transporter une plus grande charge, permettra une mobilité accrue et offrira une meilleure protection» aux Forces armées canadiennes. Si l’américaine General Dynamics Canada et la britannique Marshall Aerospace ont obtenu le contrat en 2023, l’entreprise beauceronne a réussi à se joindre à la chaîne d’approvisionnement.

Système d’aéronefs télépilotés (SATP) (drones)
Quantité: 11
Première livraison prévue: 2028
Coût estimé: 2,5 G$
L’armée canadienne a signé un contrat avec le gouvernement américain et General Atomics Aeronautical Systems pour se doter d’un système d’aéronefs télépilotés (SATP), communément appelé drones. Ces appareils dernier cri auront une envergure (la longueur entre les extrémités des ailes) de 24 mètres, une endurance de 28 heures et pourront atteindre une vitesse de 315 kilomètres/heure. Le programme atteindra sa capacité opérationnelle complète au plus tard en 2033. Le contrat s’accompagne notamment de six postes de contrôle au sol et de l’armement, qui permettront aux drones d’effectuer des opérations de surveillance et de frappe de précision à distance.

Avions stratégiques et de ravitaillement en vol CC-330
Quantité : 9 (4 nouveaux et 5 d’occasion)
Première livraison prévue : 2028
Coût estimé : 3,6 G$
En dehors des États-Unis, le CC-330 Husky occupe 90% des parts de marché mondial au chapitre des avions de ravitaillement. L’aéronef, construit par la française Airbus, «améliorera la polyvalence, la capacité d’adaptation, l’interopérabilité avec les nations alliées, la sécurité des communications et l’autoprotection de la flotte actuelle de l’Aviation royale canadienne», explique la Défense. Ces avions massifs sont bâtis sur la base des Airbus A330 et remplaceront les CC-150 Polaris, en service depuis le début des années 1990. Leur utilité repose surtout dans le ravitaillement en vol d’autres avions, le transport aérien de personnel militaire et de fret, les évacuations médicales et le transport stratégique de responsables du gouvernement du Canada. C’est d’ailleurs ce type d’avion qui transporte le premier ministre du Canada aux quatre coins de la planète.

Navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique
Quantité : 6
Date estimée de la livraison finale : 2028
Coût estimé : 5 G$
En tant que pays nordique, le Canada n’a d’autre choix que de se doter de navires en mesure d’explorer les eaux glacées. C’est ce que visent à faire les navires de la classe nommée «Harry DeWolf», en l’honneur d’un héros de guerre canadien. Longs de 103 mètres et munis de matériaux de type brise-glace, ces navires ont le rôle, entre autres, d’assurer la souveraineté du Canada dans l’Arctique. Les six bateaux commandés au chantier Irving pourront participer à un large éventail d’opérations, incluant la lutte contre la piraterie et la contrebande, ou encore aux missions de recherche et sauvetage. Trois exemplaires sont déjà arrivés à bon port, et les trois autres doivent arriver avant 2028. Deux exemplaires supplémentaires seront fournis à la Garde côtière.

Sous-marins à propulsion classique
Quantité : 12
Date de livraison : encore inconnue
Coût estimé : encore inconnu
Le ministre de la Défense a annoncé à la mi-juillet la mise en branle d’un projet d’acquisition de 12 sous-marins qui auront comme tâches de «repérer secrètement et de prévenir les menaces maritimes, de contrôler nos voies d’accès maritimes, de projeter [leur] puissance et [leur] capacité de frappe au-delà de nos côtes, et d’exercer une dissuasion persistante sur les trois côtes». Ces sous-marins devront notamment être capables de naviguer sous la glace afin de dissuader la Russie, qui multiplie les missions d’exploration en Arctique, et la Chine, qui «élargit rapidement sa flotte sous-marine». La flotte actuelle de quatre sous-marins de la classe Victoria, acquis en 1998 auprès de la marine britannique, «est de plus en plus désuète et coûteuse à entretenir», reconnaît le gouvernement. Ottawa en est toujours au début du processus et publiera à l’automne sa demande de renseignements auprès des fabricants potentiels.
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