«Nous sommes à un tournant»: voici ce qu'il faut retenir du rapport alarmant sur le climat
Marlowe HOOD, AFP
Le nouveau rapport des experts sur le climat de l’ONU (GIEC), publié lundi, se penche sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique, dont les effets catastrophiques se font déjà sentir à travers le monde.
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Le réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle a déjà atteint 1,1 °C, tandis que l’accord de Paris de 2015 fixe comme objectif de demeurer en dessous de 2 °C, et si possible de 1,5 °C.

Voici les points clés de ce rapport long de quelque 2800 pages, qui représente le consensus scientifique mondial le plus à jour sur ces questions.
Assurer un pic d’émissions en 2025

Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas sensiblement réduites d’ici 2030, l’objectif de 1,5 °C sera «hors de portée».
Mais les politiques actuelles ouvrent la voie à un réchauffement de 3,2 °C d’ici la fin du siècle.
Tenir l’objectif de + 2 °C s’annonce déjà extrêmement compliqué: de 2030 à 2050, il faudrait réduire chaque année les émissions comme en 2020, année exceptionnelle où une bonne partie de l’économie mondiale s’est arrêtée en raison de la COVID-19.
Pour ne pas dépasser + 2,5 °C, les émissions de gaz à effet de serre devront atteindre leur pic en 2025, ce qui semble improbable, la trajectoire étant repartie à la hausse dès 2021, retrouvant les niveaux records prépandémiques.
Or, au niveau d’émissions de 2019, le «budget carbone» disponible pour conserver 66% de chances de rester sous les + 1,5 °C serait entièrement consommé en huit ans.
Remplacer les énergies fossiles...

Si tous les gisements de pétrole, de gaz et de charbon actuellement en service sont exploités jusqu’à leur terme sans technologies de capture du carbone, il sera impossible de tenir + 1,5 °C.
Éliminer les subventions aux énergies fossiles pourrait faire baisser les émissions de 10%.
Tenir + 2 °C suppose que 30% des réserves de pétrole, 50% des réserves de gaz et 80% des réserves de charbon ne soient pas utilisées, sauf si des techniques de captage et de stockage du CO2 émis sont développées.
Les actifs perdus pourraient se chiffrer en milliers de milliards de dollars.
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Par des sources à faible émission de GES ou neutres

Pour tenir les objectifs de l’accord de Paris, le monde doit atteindre la «neutralité carbone» sur tous les plans d’ici 2050.
La capacité des énergies photovoltaïque et éolienne a fortement augmenté, de 170% et 70% respectivement entre 2015 et 2019, grâce à la baisse des coûts, aux politiques publiques et à la pression sociale. Mais malgré ces hausses spectaculaires, elles ne représentent ensemble que 8% de la production électrique mondiale, et 21% de la production peu carbonée.
Au total, les renouvelables et les énergies peu carbonées – dont le nucléaire et l’hydroélectricité – comptent pour 37% de la production électrique mondiale, le reste provenant des énergies fossiles.
Réduire la demande

Le basculement vers l’énergie moins carbonée ne doit pas faire passer au second plan les transformations structurelles – mobilités douces, véhicules électriques, télétravail, isolation des bâtiments, moins de vols en avion – qui permettraient de réduire les émissions de 40% à 70% d’ici 2050.
«Des modifications profondes et rapides de la demande faciliteront la réduction à court et moyen terme des émissions dans tous les secteurs», souligne le rapport.
Au niveau mondial, les 10% des ménages les plus riches représentent jusqu’à 45% des émissions totales.
Museler le méthane

Les émissions de méthane – gaz à effet de serre à la durée de vie bien plus courte que le CO2, mais 21 fois plus puissant – représentent environ un cinquième du réchauffement.
Les fuites dans la production d’énergies fossiles (par les puits ou les gazoducs) représentaient environ un tiers de ces émissions en 2019. L’élevage animal est également une source importante.
Tenir l’accord de Paris implique de réduire de moitié les émissions de méthane d’ici 2050 (par rapport au niveau de 2019).
Capturer le CO2

Même dans les meilleurs scénarios, la baisse des émissions devra s’accompagner de la mise en œuvre de techniques d’élimination du dioxyde de carbone (EDC), ou «émissions négatives», pour atteindre la neutralité carbone.
Les possibilités vont de la capture naturelle de CO2, en plantant des arbres par exemple, à l’extraction du CO2 de l’atmosphère, une technologie qui n'est pas encore au point.
Ces EDC devraient permettre de compenser les émissions de gaz à effet de serre des secteurs qui ne pourront pas suffisamment réduire leurs émissions d’ici 2050 – aviation, transport maritime ou cimenteries – et seront également nécessaires pour espérer rétablir la situation en cas de dépassement des objectifs de l’accord de Paris.
Agir coûte cher...

Tenir l’objectif de + 1,5 °C nécessitera des investissements de 2300 milliards de dollars par an entre 2023 et 2052, rien que pour le secteur de l’électricité. Le chiffre tombe à 1700 milliards pour + 2 °C.
En 2021, 750 milliards ont été dépensés dans le monde pour les énergies propres ou l’efficacité énergétique, selon l’Agence internationale de l’énergie.
Selon le GIEC, les pays riches dépensent deux à cinq fois moins que ce qu'il faudrait, et les investissements dans les pays en développement sont de quatre à huit fois moins élevés que nécessaire.
Tenir l’objectif de + 2 °C entraînerait une baisse de 1,3% à 2,7% du PIB mondial, par rapport à la trajectoire actuelle, et une baisse de 2,6% à 4,2% pour tenir + 1,5 °C.
Ne rien faire encore plus...

Ces estimations de (dé)croissance ne prennent toutefois pas en compte les gains prévisibles, conséquences de l’évitement de catastrophes climatiques, de crises alimentaires ou de l’effondrement des écosystèmes.
«Les avantages des scénarios permettant de limiter le réchauffement à 2 °C dépassent les coûts des mesures d’atténuation [des émissions] sur la totalité du XXIe siècle», souligne le rapport.
Les seuls bénéfices en matière de santé publique d’une réduction de la pollution de l’air – cause de sept millions de décès prématurés par an dans le monde – seraient par exemple du même ordre que les investissements pour atteindre cet objectif.