Vivre au motel à cause de la crise du logement
L’itinérance cachée grimpe en flèche à cause du manque de loyers abordables


Anne Caroline Desplanques
GATINEAU | L’Outaouais connaît une des pires crises du logement au pays, au point que des familles sont réduites à l’itinérance cachée en errant d’un sofa ou d’un motel à l’autre.
C’est le cas de Renée Boulanger et de son conjoint Pierre Poirier jetés à la rue par un violent incendie.
« On n’a plus rien, on a tout perdu, même notre chat », souffle Renée, assise au soleil devant une toute petite chambre d’un motel de Gatineau.
Le couple a sauté par la fenêtre du deuxième étage de son logement pour ne pas brûler vif au petit matin du 26 août.
Après 72 heures de prise en charge d’urgence par la Croix-Rouge, ils ont été orientés vers l’Office d’habitation de l’Outaouais et la Ville de Gatineau qui les logent dans un motel, comme 13 autres ménages, en attendant qu’ils retombent sur leurs pieds.
Les loyers explosent
Alain Latulippe, également logé au motel, a été évincé par le nouveau propriétaire du logement qu’il occupait depuis trois ans. Le 41⁄2 qu’il payait 650 $ par mois se loue désormais 1250 $.
En juillet, un 41⁄2 se louait en moyenne 1810 $ à Gatineau, soit 10,6 % de plus qu’un an plus tôt, tandis qu’on devait payer 1551 $ par mois pour un 31⁄2, soit 20 % de plus qu’il y a un an.
Le coût médian des loyers en Outaouais est le plus élevé au Québec et le taux d’inoccupation est un des plus faibles au pays, indique Karina Osiecka, de l’Office d’habitation de l’Outaouais.
« La demande en hébergement d’urgence, temporaire et de transition a augmenté de près de 38,7 % entre l’année 2017-2018 et celle 2020-2021, mais l’offre de service n’a augmenté que de 4,6 % entre ces années », déplore le Collectif régional de lutte à l’itinérance.
Services dépassés
Mille cent personnes attendent de se voir attribuer une habitation à loyer modique (HLM), mais l’Office d’habitation de l’Outaouais en a à peine plus de 2600, toutes occupées.

En conséquence, « on est en train de voir une augmentation de l’itinérance cachée », déplore la mairesse de Gatineau, France Belisle, dont les services logent même un couple et ses trois jeunes enfants d’âge primaire à l’hôtel.
Dans ces conditions, avec leur 1000 $ de budget par mois pour un loyer, Renée et Pierre craignent d’errer encore longtemps. En un mois, ils ont déménagé leur maigre baluchon trois fois déjà.
« Toutes les semaines, c’est le stress de savoir si on va être relocalisés et où, dit Renée. Je me suis mise à faire des crises d’urticaire tellement le stress est intense. »
Bâtiments fédéraux vides
Tandis que des familles de Gatineau sans logis sont installées à l’hôtel, le gouvernement fédéral occupe dans cette ville 770 000 mètres carrés d’édifices pour la plupart laissés vides par les fonctionnaires en télétravail.
En campagne électorale il y a un an, le Parti libéral s’est engagé à investir 600 millions $ pour appuyer l’aménagement d’espaces de bureaux inoccupés en logements.
« Nous convertirons non seulement le parc immobilier fédéral, mais aussi certains bâtiments commerciaux », a promis Justin Trudeau dans sa plateforme électorale.
La mairesse s’impatiente
Un an plus tard, les résultats se font attendre et la mairesse de Gatineau, France Belisle, qui compte sur son territoire plus de locaux fédéraux que toute autre ville au Québec, soit pas moins de 200 immeubles, s’impatiente.
Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) examine depuis 2018 son portefeuille immobilier afin de l’optimiser, sachant qu’une grande partie des locaux est sous-utilisée depuis avant même la pandémie, indique une porte-parole du ministère, Stéphanie Hamel.
En mars, le budget fédéral a promis que cet examen permettrait d’évaluer les possibilités de conversion en logement, et d’économiser six milliards de dollars en cinq ans.
Pas d’échéancier clair
Depuis, une seule réunion a eu lieu entre les officiels fédéraux et ceux de la Ville de Gatineau.
« Il faut faire cette évaluation-là, ça presse, dit la mairesse Belisle. Ma préoccupation la plus importante, c’est quand, quel est l’échéancier, parce que la crise est urgente. »
Les questions du Journal posées à SPAC sur l’avancement de l’examen et sur l’échéancier sont restées sans réponses.
En attendant, en plus de vies humaines brisées, l’absence de logements est devenue un réel frein au développement économique de la région puisque les travailleurs ne parviennent plus à s’y installer, s’inquiète Mme Belisle.
Le manque de logements plombe même les inscriptions à l’Université du Québec en Outaouais et au Cégep de l’Outaouais. À elles seules, les deux institutions ont besoin de 500 logements.
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