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L'article provient de Le Journal de Québec
Société

Violente émeute de 1832: l’événement qui a mis le feu aux poudres des patriotes

Gravure de la fusillade du 21 mai 1832, qui fit trois victimes parmi les supporters du Parti patriote.
Gravure de la fusillade du 21 mai 1832, qui fit trois victimes parmi les supporters du Parti patriote. Photo Wikimedia Commons/Domaine
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James Jackson

2023-05-20T04:00:00Z
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Le 21 mai 1832, une élection partielle a lieu à Montréal. Cet événement peut paraître à première vue un fait divers minime. Pourtant, cette élection se trouve parmi les éléments qui ont contribué au déclenchement de la rébellion des patriotes en 1837. C’est qu’à l’époque, cette élection revêtait une importance primordiale pour les Canadiens français. 

L’élection fut tenue dans la circonscription de Montréal-Ouest, le Vieux-Montréal d’aujourd’hui. Elle était représentée par deux membres à la Chambre d’assemblée à Québec. Papineau occupait l’un des deux sièges depuis 1814. Traditionnellement, l’autre siège était détenu par un anglophone représentant le Parti anglais. C’était ce siège vacant qui était à pourvoir.

Stanley Bagg
Stanley Bagg Photo fournie par Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Sans surprise, la classe marchande avait choisi Stanley Bagg comme candidat. D’origine américaine, Bagg était un entrepreneur prospère grâce à de multiples contrats avec l’armée britannique. En temps normal, Bagg aurait remporté haut la main l’élection. Mais exceptionnellement, le Parti patriote présenta son propre candidat anglophone, Daniel Tracey.

Daniel Tracey
Daniel Tracey Photo fournie par Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Tracey, un médecin irlandais, avait immigré au Bas-Canada en 1825, où il fonda un journal à Montréal destiné principalement à la communauté irlandaise. Ayant reçu une aide financière de la part du Parti patriote en 1829, The Vindicator de Tracey devint le seul journal propatriote de langue anglaise.

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Le scrutin commença le 25 avril. Il ne faut pas oublier qu’une élection pouvait durer des jours ou des semaines, en fait, tant que les électeurs se présentaient au bureau de vote. Si une heure s’écoulait après l’enregistrement d’un vote sans qu’un nouvel électeur se présente, l’officier rapporteur devait déclarer le scrutin terminé.

Cela peut nous sembler incroyable aujourd’hui, mais le scrutin n’était pas secret. Chaque électeur devait annoncer publiquement le nom du candidat de son choix. L’officier rapporteur enregistrait le vote et les données personnelles de l’électeur. Fait exceptionnel, certaines femmes avaient le droit de vote.

Le scrutin de 1832 dura plus de trois semaines. Dès le premier jour, comme c’était la coutume à l’époque, Bagg recruta des fiers-à-bras (des boulés) pour intimider ou empêcher les supporters de Tracey de voter. Le lendemain, les partisans de Tracey, arrivés en grand nombre, affrontèrent les fiers-à-bras de Bagg. Le désordre qui en résulta empêcha le bureau de vote d’ouvrir. Le ton fut ainsi donné pour le reste de l’élection.

Les affrontements se poursuivirent sans trêve malgré la présence des magistrats et des constables spéciaux. L’officier rapporteur, après avoir déménagé deux fois le bureau de scrutin, finit par opter, le 5 mai, pour le dépôt de ses pompes au coin de la rue Saint-Jacques et de la Place d’Armes. L’élection resta très serrée.

Plan de la place d’Armes. La version de ce plan a été dessinée spécifiquement pour élucider les événements du 21 mai 1832.
Plan de la place d’Armes. La version de ce plan a été dessinée spécifiquement pour élucider les événements du 21 mai 1832. Photo fournie par Bibliothèque et Archives nationales du Québec

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Quinze jours plus tard, les deux candidats étaient à égalité. Les magistrats, qui étaient majoritairement partisans de Bagg, commencèrent à douter de sa victoire. Le 20 mai, Bagg décida que seule une démonstration de force pouvait sauver sa candidature. Il demanda de l’aide aux juges de paix.

Les magistrats acquiescèrent en prenant une décision fatidique. Ils demandèrent au commandant de la garnison locale britannique d’envoyer le lendemain une compagnie du 15e Régiment d’infanterie pour « aider la force civile à supprimer toute émeute qui pourra arriver en conséquence de l’Élection ».

La matinée du lundi 21 mai se déroula calmement sous une pluie incessante. Dans l’après-midi, il se produisit un petit incident – quelques partisans des deux camps échangèrent des insultes –, puis le calme fut rétabli en un rien de temps. Mais un magistrat, interprétant faussement la dispute, crut qu’une émeute venait d’éclater. Il partit chercher les soldats. Il était 15 h 15.

La présence des troupes provoqua la colère de la foule nombreuse qui attendait la fin de l’élection. Malgré l’absence d’un « attroupement tumultueux », William Robertson, chef des magistrats et directeur de la faculté de médecine de McGill, prétendit avoir lu la Loi sur les émeutes près du bureau de scrutin.

William Robertson
William Robertson Photo tirée du site www.biographi.ca

Deux heures plus tard, pendant que les sympathisants de Tracey partaient le long de la rue Saint-Jacques, Robertson ordonna au lieutenant-colonel Alexander F. Macintosh d’ouvrir le feu sur eux, sous prétexte qu’ils étaient tous des émeutiers.

Il y eut trois victimes innocentes : Casimir Chauvin, François Languedoc et Pierre Billet. Ils se trouvaient à 125, 185 et 256 verges respectivement des soldats.

Tracey remporta l’élection par trois voix. En juin 1834, lors de la première célébration politique de la Fête de la Saint-Jean, on porta un toast aux trois victimes du 21 mai.

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