Violence verbale extrême envers des enfants dans une garderie de Longueuil
La garderie La Jolie Licorne a dû fermer ses portes
Félix Séguin et Jean-Louis Fortin
Insultes, intimidation, violence verbale; la tenancière d’une garderie en milieu familial de Longueuil a dû fermer boutique après avoir été enregistrée en train de tenir des propos inacceptables aux bambins dont elle avait la garde.
«Pourquoi ton petit cerveau il faut qu'il gère 72 000 affaires en même temps quand on te parle? T’es où là? À la garderie! Dis-le à ton cerveau, t’as pas l’air à être au courant.»
Dans sa maison d’un quartier résidentiel de la Rive-Sud de Montréal, Maryse Chevalier vocifère des propos agressifs à l'un des six enfants de moins de cinq ans qu'elle accueille.
Elle menace ensuite le bambin à propos de son ourson en peluche.
«Regarde, j’ai une belle poubelle là. C’est là qu’il va finir. Moi, à 55 ans, j’ai pas besoin d’un ourson en peluche là. C’est-tu clair? Ça fait que, tu es mieux d’opérer pis de collaborer à matin, parce que c’est ridicule.»

Maryse Chevalier continue à maugréer. On l'entend ridiculiser l’enfant en l’imitant.
«Eille, je lui demande de s’assir. Il gère la table (...), il gère dehors... Ça va te prendre combien de temps t’assir? Trois heures? Allume, là! Moi, si ça chauffe dans ton cerveau, ça ne chauffe pas dans le mien là.»
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«Ça n'avait pas d'allure»
De tels propos étaient légion à la garderie en milieu familial La Jolie Licorne, révèlent des extraits audio dont notre Bureau d’enquête a obtenu copie.
À l’été 2023, le CPE L’Attrait Mignon, dont le bureau coordonnateur était responsable de cette garderie, a réussi à fermer l’établissement après avoir reçu une plainte accompagnée de fichiers audio.
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«Ça a été le choc. Ça a été la colère, la surprise. (...) Ces pauvres petits enfants-là, mon Dieu, ça n’avait pas d’allure ce qu’ils vivaient au quotidien», déplore Claudia Beaudin, directrice générale du CPE.

«On a mis un terme assez rapidement à toute cette situation-là pour éviter que d’autres enfants puissent subir le même sort», ajoute sa collègue Chantal Lavoie, responsable du bureau coordonnateur.
«Très perturbant»
Notre Bureau d’enquête a fait entendre les enregistrements à Sylvana Côté, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chercheure au CHU Sainte-Justine.
«C’est un cas qui est très perturbant. C’est un cas d’abus verbal sévère (...), donc c’est très inquiétant», estime-t-elle sans équivoque.

La spécialiste explique que la période de 0-5 ans en est une «particulièrement charnière» pour le développement des enfants.
«Le type de langage qui a été utilisé avec les enfants (...) suggère que ça peut lourdement impacter l’estime d’eux-mêmes qu’ont les enfants qui ont été victimes de ces abus», dit la professeure Côté.
Colère
Jointe au téléphone, Maryse Chevalier affirme avoir été enregistrée à son insu par son ex-conjoint, un «fou furieux» et un «trou de cul», selon elle, avec qui elle était en processus de séparation.
«Il était chez nous à 7 heures le matin, il était chez nous aux heures de sieste, il était chez nous tout le temps pour me faire chier. Faque au lieu de déverser ma colère sur lui, je l’ai versée sur les enfants.»

«J’ai été trop cruche pour m’apercevoir qu’il était en train de m’enregistrer», ajoute Mme Chevalier, qui ne «penserait pas» que des enfants ont pu avoir des séquelles des paroles qu’elle a prononcées.
Elle prétend que son permis n’a pas été révoqué et qu’elle a plutôt donné sa démission.
Entendu à la garderie
- Maryse Chevalier a son souffre-douleur, qu’elle surnomme «Bouboule». Le garçon tente de faire un bricolage, mais n’y arrive pas. Elle le compare à un autre qui, lui, a réussi.
«Eille, la boule, il est devant toi là! On appelle-tu ça un cerveau lent? (...) En tout cas, toi et ta chum dans la même classe, le professeur s’arracherait la tête», lance-t-elle sur un ton dénigrant.
- La tenancière de la garderie interpelle les enfants par leur nom de famille, comme le ferait un coach en train d’enguirlander ses joueurs dans un vestiaire.
«Gauthier, let’s go!» l’entend-on dire.
Difficile d’intervenir, déplore le CPE
La directrice du CPE L’Attrait Mignon déplore que la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) n’ait pu faire fermer immédiatement la garderie de Maryse Chevalier dès que des abus ont été constatés.
Claudia Beaudin raconte avoir avisé la DPJ lorsqu’elle a été mise au courant des abus psychologiques. L’organisation aurait répondu qu’elle n’a pas ce pouvoir.
«Il n’est pas de la responsabilité de la DPJ de déterminer si une garderie doit être fermée ou non», confirme Véronique Dumont, conseillère en communication au Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est, en réponse à nos questions.
«Dans une situation où un abus physique, sexuel ou de négligence grave par un tiers est soupçonné, les services policiers font enquête à savoir si un acte criminel a été commis, le procureur de la Couronne verra s’il y a matière à poursuite ou non, et finalement la DPJ verra à déterminer si la situation de l’enfant ou des enfants est compromise au sens de la Loi sur la protection de la jeunesse», détaille la DPJ.
Dans ce cas-ci, rien n’indique que des abus physiques ou sexuels n’aient été commis.
Interdit de parler aux parents
Mme Beaudin dit aussi avoir envoyé les enregistrements au ministère de la Famille de Suzanne Roy et celui des Services sociaux de Lionel Carmant. Personne n’a pu l’aider.
Elle ne peut même pas expliquer aux parents ce qu’ont vécu leurs enfants.
«On a une maman (...) qui est venue nous voir, et on n’a même pas été capables de lui dire. Et on a redemandé au ministère de la Famille l’autorisation de le faire. Mais [on ne pouvait pas] sinon on se met à risque de poursuite», déplore la directrice du CPE.
La garderie La Jolie Licorne était ouverte depuis une vingtaine d’années. «Étant donné les enquêtes en cours», le ministère n’a pas voulu donner d’informations sur les vérifications qui ont pu être faites concernant l’établissement au fil des années.
Selon la loi, Maryse Chevalier pourrait toujours exploiter une garderie à domicile même si elle n’est pas certifiée par un bureau coordonnateur. Cela ne sera plus possible en vertu de changements à la loi qui entreront en vigueur le 1er septembre 2026.
«Cela étant dit, le Ministère agit immédiatement lorsque la santé et la sécurité des enfants sont en danger ou compromises», écrit Noémie Vanheuverzwijn, relationniste au ministère, dans un courriel.
La vérificatrice s’inquiète
Dans son rapport 2023-2024 remis à l’Assemblée nationale, la vérificatrice générale Guylaine Leclerc faisait des constats troublants sur les services de garde en milieu familial.
«Le ministère de la Famille n’a pas entrepris l’évaluation de la qualité éducative des services de garde en milieu familial reconnus ni planifié quand elle débutera», écrit-elle.
Aussi, «des outils utilisés par certains bureaux coordonnateurs ne permettent pas de vérifier la capacité d’offrir un milieu de garde assurant la santé, la sécurité et le bien-être des enfants», selon la vérificatrice.
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