Vers une parentalité fluide

Laurence Godin-Tremblay, Doctorante en philosophie et mère de trois enfants
La Cour supérieure du Québec a rendu le 25 avril dernier un jugement ouvrant la porte à la «triparenté», c’est-à-dire la reconnaissance légale de trois parents. Bien que certains y voient une amélioration, j’y observe pour ma part une source de confusion, qui nuira au bien-être de notre société et de nos enfants.
L’argument principal du jugement tient à ce que le Code civil du Québec, en limitant à deux le nombre de parents légaux pour un enfant, contreviendrait au droit à l’égalité de la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans le jugement, on avance que les enfants de familles dites «pluriparentales» se verraient discriminés par rapport à ceux des familles dites «biparentales». Ces enfants ne bénéficieraient pas, au contraire de leurs pairs, de la reconnaissance légale de leurs parents, ce qui affecterait leur sentiment identitaire, mais aussi priverait leurs parents de divers avantages, par exemple celui de pouvoir consentir aux soins médicaux.
Qu’est-ce qu’un parent?
Sauf que tout cela soulève une question fort simple et pourtant fondamentale: qu’est-ce qu’un parent? Suffit-il de s’identifier «parent» pour être tel? Le jugement de la Cour supérieure accepte d’emblée ce postulat: il existe une réalité telle que celle des familles formées de «trois parents». La question devient alors simplement: l’État doit-il donner une reconnaissance légale à cette supposée réalité ou pas?
Le jugement répond par l’affirmative. Qu’en sera-t-il alors des familles à quatre parents? Cinq? Six? Y aura-t-il une limite? Il semble que non. A priori, le même raisonnement devrait s’appliquer.
C’est absurde, me direz-vous? Oui et non. C’est que notre droit refuse d’enraciner ses lois dans une définition objective de la famille ou du parent. De même que, aujourd’hui, est «femme» qui s’identifie telle, de même est «parent» qui se déclare tel, avec comme seule différence ici d’impliquer l’accord d’éventuels partenaires.
Autrement dit, dans le nouveau paradigme du «projet parental», aucun critère objectif ne limite la parentalité. Ni biologique, ni même – c’est la nouveauté ici – numérique.
Visions antagonistes
La pluriparentalité donne l’occasion d’apercevoir deux visions antagonistes de l’existence qui se confrontent sans cesse aujourd’hui: le naturalisme et le relativisme. Dans la première, on considère que la réalité doit mesurer notre pensée et nos opinions; dans la seconde, au contraire, on stipule que c’est la pensée qui mesure la réalité.
Dans le cas qui nous occupe, le naturaliste dira que, par nature, la famille comporte deux parents, réalité biologique oblige. Certes, des accidents de parcours peuvent survenir et il arrive parfois qu’un enfant ne se retrouve qu’avec un seul parent ou même doive être adopté par d’autres. Mais toujours, le point de référence, c’est deux parents.
Le relativiste, lui, refusera d’enraciner sa vision de la parentalité dans une objectivité quelconque, même biologique. Le rôle de parent relèvera du construit et de la volonté personnelle de tout un chacun. Cela conduit à refuser même une limite au nombre de parents.
Comment ne pas voir dans cette vision relativiste la source de dérives toujours plus importantes? L’enfant ne se comprend plus comme le fruit de l’amour de deux êtres se donnant mutuellement l’un à l’autre, ne formant qu’une seule chair. Il est maintenant le projet d’adultes construisant leur famille selon leurs lubies et leurs désirs personnels.

Laurence Godin-Tremblay
Doctorante en philosophie et mère de trois enfants