Vers la légalisation de la polygamie au Canada?


Normand Lester
Une première dans l’histoire du droit au Québec. La Cour supérieure vient de reconnaître que les enfants québécois peuvent avoir plus de deux parents.
Le juge Andres Garin a décidé que les dispositions du Code civil discriminaient trois familles pluriparentales et étaient inconstitutionnelles. La Cour a abrogé ces restrictions et donné 12 mois au législateur pour mettre à jour la loi.
L’affaire a été portée devant les tribunaux par deux femmes et un homme formant un trio amoureux qui voulaient être reconnus légalement comme les parents de leurs enfants, fruits d’un projet parental «triangulaire». Deux autres familles pluriparentales se sont jointes aux procédures engagées par plusieurs bureaux d’avocats.
Ménage à plusieurs
Le juge Garin estime que limiter la filiation à deux personnes va à l’encontre du droit à l’égalité édicté par la Charte canadienne des droits et libertés. Le procureur général du Québec s’opposait à la reconnaissance juridique de la pluriparentalité. Si Simon Jolin-Barrette porte la cause en appel, ça va aller jusqu’en Cour suprême. L’Ontario, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et Terre-Neuve reconnaissent déjà la pluriparentalité.
Dans son jugement, Garin a pris soin d’écrire que les modifications qu’il recommande au Code civil ne peuvent pas ouvrir la porte à la polygamie. C’est à voir.
La Sharia, le livre sacré de 1,9 milliard de musulmans (24% de la population mondiale), permet la polygamie, qui est légale dans une soixantaine de pays. Pas au Canada, où des sectes mormones de Colombie-Britannique s’y adonnent aussi.
Il y a près de deux millions de musulmans au Canada. L’islam autorise les hommes à épouser jusqu’à quatre femmes. Pour contourner son interdiction légale au Canada, les mariages musulmans polygames, célébrés par des imams, ne sont pas déclarés.
• Écoutez aussi cet épisode balado tiré de l'émission de Richard Martineau, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
Polygamie secrète en Ontario
L’émission The Fifth Estate, de la CBC, a filmé à son insu en 2019 l’imam Aly Hindy, alors inscrit sur le site officiel de l’Ontario comme autorisé à célébrer des mariages, encourageant la pratique, pourtant reconnue comme un acte criminel passible de cinq ans de prison.
Confronté à sa déclaration, l’imam a répondu qu’il mettait les autorités au défi de le poursuivre en justice, se disant convaincu que la Cour suprême du Canada déclarerait la loi interdisant la polygamie inconstitutionnelle. Hindy a célébré des dizaines de mariages polygames non déclarés à Toronto depuis une vingtaine d’années.
Comme l’iman Aly Hindy, plusieurs spécialistes constitutionnels pensent qu’il serait extrêmement difficile pour la Cour suprême du Canada de maintenir l’interdiction de la polygamie.
Selon le professeur de droit Nick Bala, de l’Université Queen’s, la Cour suprême a entamé le processus de redéfinition du mariage en légalisant les unions homosexuelles, ajoutant: «Si vous redéfinissez le mariage, comme nous l’avons fait, on peut se demander: “Eh bien, s’il n’est pas nécessaire que ce soit un homme et une femme, pourquoi ça ne pourrait pas être plus de deux personnes?”» Ceux qui défendent la polygamie affirment que son interdiction constitue un affront aux droits les plus fondamentaux: la liberté de religion et la liberté d’association.