Marcelin François: Vaillant demandeur d’asile foudroyé


Nora T. Lamontagne
Un demandeur d’asile haïtien, arrivé au Canada par le rang Roxham en 2017 et devenu préposé aux bénéficiaires pour subvenir aux besoins de sa famille, est mort terrassé par la COVID sans avoir osé consulter un médecin.
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Marcelin François travaillait jusqu’à 28 heures par week-end dans des résidences pour personnes âgées autour de Montréal, en plus de conduire un chariot élévateur à temps plein la semaine.
En Haïti, il faisait pousser des arachides, du maïs et des haricots sur la terre familiale.
« Il était fort », dit Oséna Charles, dans un filet de voix.
Privée de son mari depuis pratiquement un an, elle n’a pas les mots pour décrire sa perte. Que des larmes.
Quand elle raconte les dernières années passées avec lui, trois dates se démarquent dans son esprit :
Le 7 octobre 2015. Le jour où ils ont quitté Haïti pour fuir l’insécurité, en espérant trouver une vie plus clémente.
Le 6 août 2017. Le jour où ils ont franchi à pied le chemin de terre Roxham, en Montérégie, pour entrer au Canada, après avoir tenté leur chance dans une dizaine d’autres pays.
Le 14 avril 2020. Le jour où M. François est décédé, la laissant seule à la tête d’une famille de trois enfants.
Soigné à la maison
L’homme de 40 ans avait commencé à ressentir des symptômes dès le 20 mars.
Rien pour inquiéter démesurément sa femme.
« Il ne se plaignait pas, mais des fois, il toussait », se souvient Mme Charles.
Pour M. François, pas question de consulter un médecin.
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« Il y a toujours cette peur qu’une faiblesse soit retenue contre toi dans un dossier d’immigration », rappelle le porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut, Frantz André.
Mais le matin du 14 avril, un mardi, M. François est foudroyé par une double embolie pulmonaire, qui sera liée à la COVID. Cette fois, il fallait appeler les secours. C’est son fils, Marc Sonder, 11 ans, qui s’en est chargé.
Il est déjà trop tard à leur arrivée.
Laissée à elle-même
Les semaines suivantes ont été effroyables.
Mme Charles n’a d’abord reçu aucun appui du gouvernement et n’avait aucun membre de la famille au pays.
Leur demande d’asile ayant été refusée avant la mort de M. François, elle et ses trois enfants – Marc Sonder, Martline, 3 ans, et Rose Marline, 2 ans – étaient toujours dans une situation irrégulière.
Et elle souhaitait à tout prix quitter le logement de l’arrondissement de Montréal-Nord où son mari est décédé.
Les perspectives sont meilleures aujourd’hui, bien que des cheveux blancs parsèment ses tresses.
Elle a pu obtenir une indemnité de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail grâce à l’aide pro bono d’une avocate de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec.
Elle a déménagé dans le même quartier. Et sa demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires chemine tranquillement dans le système.
« On ne pourra jamais parler suffisamment du courage d’Oséna », insiste M. André, qui l’épaule dans toutes ses démarches.