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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

Usurpation de l’héritage forestier collectif

Photo Agence QMI
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Henri Jacob et Richard Desjardins, Action boréale

2025-04-30T04:00:00Z
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Sans véritable consultation des réels propriétaires et actionnaires de notre patrimoine forestier, la ministre Maïté Vézina du MRNF s’apprête à détourner le tiers de notre capital nature au profit des forestières, dont plusieurs sont de propriété étrangère.

Contrairement à la dernière modernisation du régime forestier, le gouvernement précédent avait créé une commission publique, en 2003, où tous les intervenants concernés ont eu l’opportunité de faire valoir leurs craintes et appréciations. Présidée par Guy Coulombe, connu comme un grand serviteur de l’État, cette commission avait pour but de rassurer la population quant à la gestion de ses forêts publiques.

À la sortie du rapport en 2004, tous furent surpris d’apprendre qu’au contraire, le logiciel Sylva, utilisé pour déterminer le taux de récolte de la matière ligneuse, nous avait conduits à surexploiter la forêt à une hauteur de 20%. La commission recommandait une révision en profondeur de la Loi sur l’aménagement du territoire forestier.

Héritage collectif

La nouvelle loi ainsi modernisée, malgré plusieurs lacunes, stipule à son premier considérant que les forêts... constituent un bien collectif inestimable pour les générations actuelles et futures. On y retrouve aussi dès le début: Titre 1, chapitre 1-1, 1 ̊ implanter un aménagement durable des forêts, notamment par un aménagement écosystémique: Aménagement qui a pour objectif de veiller au maintien des principaux attributs et des principales fonctions écologiques des forêts naturelles dans le but de favoriser la santé de l’écosystème et sa biodiversité. Plus l’état des forêts aménagées est maintenu proche de celui des forêts naturelles, meilleures seront les probabilités que les espèces fauniques et floristiques y trouvent des conditions d’habitats auxquelles elles sont adaptées.

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Ce que la ministre nous propose avec son projet de loi 97, c’est ni plus ni moins que de retourner à un régime encore plus rétrograde que celui de l’époque pré-Coulombe, en s’appropriant de plus du tiers de notre héritage collectif, soit les écosystèmes forestiers les plus productifs pour répondre uniquement aux demandes de l’industrie forestière qui est de plus en plus sous gestion étrangère.

Le deuxième tiers sera «business as usual» où les citoyens demeureront occupés à se débattre pour contester les récoltes sur les forêts qui avoisinent leurs lieux de résidence, de ressourcement et de récréation. Enfin, Maïté, dans sa grande magnanimité, est disposée à laisser le dernier tiers composé d’écosystèmes résiduels, inintéressants pour l’industrie extractive, à savoir les milieux humides, les tourbières, les marais... et, si les MRC et l’Alliance boréale n’y voient pas d’inconvénients, ces milieux pourront être proposés pour éventuellement devenir des aires protégées (AP).

Il ne faudrait pas oublier que, dans ce dernier tiers, les territoires municipaux, les terres agricoles, les autres lieux habités et les territoires miniers ne peuvent de facto être proposés comme AP. À titre d’exemple, plus de 55% du territoire de l’Abitibi est sous jalonnement minier, donc interdit à la conservation.

Facture

Nous contestons aussi les intentions de la ministre de refiler aux citoyens une part encore plus grande de la facture relative aux coûts d’aménagement et d’entretien des chemins construits pour répondre aux besoins des forestières en les rebaptisant «chemins multi-usages» après la récolte. Une autre belle entourloupette.

Ce projet de loi 97 est une des pires attaques à la propriété collective qui nie aux populations qui habitent ces territoires, principalement aux communautés autochtones, le droit d’en débattre publiquement avant de nous déposséder de ce capital nature qui nous fournit depuis toujours des services écologiques et qui constitue un moyen privilégié de lutter contre les changements climatiques en séquestrant le CO2 tout en nous fournissant les services essentiels au maintien de notre qualité de vie.

En conséquence, nous exigeons qu’avant de moderniser le régime forestier actuel, nous instaurions une commission, style Coulombe, pour faire le point sur notre capital nature biodiversifié qui inclurait toutes les composantes de ses territoires et de faire l’analyse des pratiques forestières associées à la production ligneuse. Ensuite et seulement ensuite, nous pourrons honnêtement débattre de façon éclairée sur ce qui doit être conservé et ce qui peut être utilisé et selon quelles règles.

Il y va de notre devoir de léguer aux générations futures un territoire qui répondra à leurs besoins et à leurs aspirations, car, comme disait l’autre: «Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants.»

Henri Jacob, président
Richard Desjardins, vice-président
Action boréale

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