Voici pourquoi on détecte un plus grand nombre de cancers colorectaux chez les jeunes adultes

Richard Béliveau
L’analyse moléculaire de tumeurs colorectales précoces, affectant de jeunes adultes de moins de 50 ans, a révélé la présence de mutations typiques d’une exposition à la colibactine, une toxine sécrétée par certaines bactéries intestinales.
On s’inquiète beaucoup, avec raison, de la forte hausse d’incidence de plusieurs cancers touchant les jeunes adultes (moins de 50 ans) observée au cours des dernières années. Un des meilleurs exemples de cette augmentation est sans doute le cancer colorectal: les données montrent qu’une personne âgée de 20 à 30 ans (la cohorte des millénariaux) a actuellement deux fois plus de risque d’être touchée par un cancer du côlon et quatre fois plus de risque par un cancer du rectum que ne l’était une personne du même âge née en 1950.
Pire, non seulement ces cancers sont plus précoces, mais ils sont aussi plus agressifs et ne sont souvent diagnostiqués qu’une fois parvenus à un stade métastatique.
En conséquence, les spécialistes anticipent que le cancer colorectal précoce pourrait devenir la principale cause de mortalité par cancer des jeunes adultes de 20 à 49 ans d’ici 2030 (1).
Progression accélérée
Cette situation est tout à fait inhabituelle, dans la mesure où le cancer colorectal est le prototype du cancer à évolution lente, requérant normalement plusieurs décennies pour acquérir les mutations nécessaires à la formation d’une tumeur mature.
D’ailleurs, l’incidence de cancer colorectal commence à augmenter significativement après 50 ans pour atteindre un pic aux environs de 70-75 ans.
Pour que ce cancer ayant atteint un stade avancé soit détecté chez une personne jeune, de 30 à 35 ans par exemple, il faut donc que les cellules du côlon aient été exposées très tôt à un ou plusieurs facteurs qui ont accéléré de façon extraordinaire ce processus d’acquisition de mutations.
Toxine cancérigène
L’obésité est certainement un des facteurs en cause, car la majorité des cancers qui sont en hausse chez les jeunes, incluant le cancer colorectal, sont des cancers liés à l’obésité (2).
Mais au-delà de l’excès de poids, une autre conséquence de l’alimentation moderne, riche en produits industriels ultra-transformés et pauvre en végétaux, est de modifier drastiquement la composition du microbiome intestinal, c’est-à-dire les centaines de millions de bactéries qui cohabitent avec nous dans l’intestin, en particulier au niveau du côlon.
Ces bactéries jouent plusieurs rôles importants dans le bon fonctionnement des cellules qui sont en contact étroit avec elles et il est donc possible qu’une perturbation de cet équilibre provoquée par une mauvaise alimentation puisse influencer la probabilité de développer un cancer.
Cette implication bactérienne dans la hausse d’incidence des cancers colorectaux précoces est démontrée par les résultats d’une étude qui vient tout juste d’être publiée (3).
En analysant le génome complet de 981 tumeurs colorectales, les chercheurs ont noté que celles provenant d’individus jeunes (moins de 50 ans) présentaient une signature de mutations associée spécifiquement à la colibactine, une toxine produite par certaines souches de la bactérie E. coli et qui possède une action cancérigène bien caractérisée.
En particulier, cette toxine cancérigène cible le gène de la polypose adénomateuse colique (APC), un gène suppresseur de tumeur qui contrôle la croissance des cellules et qui est très souvent un des premiers gènes mutés au cours de la progression des tumeurs colorectales.
En somme, dans cette étude, on suggère qu’une exposition aux bactéries productrices de cette toxine dans les premières années de vie pourrait déclencher très tôt une cascade de mutations génétiques qui expliquerait l’apparition précoce du cancer colorectal chez les jeunes adultes.
L’identification des facteurs du mode de vie qui favorise l’implantation de ces bactéries, en particulier du point de vue alimentaire, pourrait donc représenter une avancée majeure dans la prévention de ces cancers.
Références
(1) Akimoto N et coll. «Rising incidence of early-onset colorectal cancer – a call to action». Nat. Rev. Clin. Oncol.; 2021; 18: 230-243.
(2) Sung H et coll. «Differences in cancer rates among adults born between 1920 and 1990 in the USA: an analysis of population-based cancer registry data». Lancet Public Health; 2024; 9: e583.
(3) Díaz-Gay M et coll. «Geographic and age variations in mutational processes in colorectal cancer». Nature, publié le 23 avril 2025.