Une rondelle perdue a changé la vie d’un entraîneur québécois
Sébastien Beaulieu a failli perdre un œil lors d’un entraînement avec Genève-Servette


Mathieu Boulay
La vie d’un entraîneur québécois, basé en Suisse, a basculé en décembre dernier lors d’un entraînement de routine avec des espoirs du club de Genève-Servette. Victime d’une rondelle perdue, il a presque failli perdre son œil droit.
Sébastien Beaulieu ne pensait pas que la journée du 15 décembre allait se terminer de façon dramatique. Au début, tout se déroulait comme prévu.
Il était sur la patinoire avec les jeunes gardiens afin de peaufiner des détails techniques avec eux. Puis, le drame est survenu.
L’entraîneur reçoit un retour de lancer directement dans l’œil droit.
«Je travaille avec deux filets qui sont face aux deux points d’engagement, raconte Sébastien Beaulieu. J’étais en train de travailler avec un des espoirs et un autre gardien [Murat Shiyanov] a fait un gros arrêt du bloqueur.
«J’étais situé environ à 30 pieds de lui et j’étais sûr que la rondelle avait frappé la barre transversale. J’ai reçu la rondelle en pleine gueule.
«Je me suis retrouvé sur la glace complètement assommé. C’est comme si j’avais reçu un coup de poing vicieux.»

Le pire scénario
Alors qu'il retrouve ses sens, le natif de Québec réalise que la rondelle a causé beaucoup de dommages. Une malchance pure et simple.
«Je sentais que j’avais reçu la rondelle dans l’œil. Je me croisais les doigts pour que ce soit la joue ou les dents. Finalement, j’avais la joue fracturée, un œil crevé et une coupure au-dessus de l’œil. J’ai reçu la rondelle de façon oblique et elle a touché à trois places en même temps.»
Par la suite, tout s’est enchaîné rapidement. Beaulieu s’est dirigé aux Hôpitaux universitaires de Genève afin de connaître la gravité de ses blessures. Après un examen ophtalmologique, il est opéré sur-le-champ. Les pronostics ne sont guère encourageants.
Les médecins ont évoqué la possibilité de lui enlever son œil. Une nouvelle qui a eu l’effet d’un coup de masse pour l’ancien entraîneur du Séminaire Saint-François dans le midget AAA.
L’opération d’une grande complexité, qui a duré six heures, avait pour objectif de reconstruire la capsule de l’œil qui était percée. Les chirurgiens ont réalisé un petit miracle et ils ont sauvé la vision de l’entraîneur.
Il a eu une autre opération avant d’obtenir son congé de l’hôpital, après un séjour de trois semaines. Inquiet pour la suite de sa carrière, il est retourné sur la glace un mois pile après l’accident. Un test peu concluant.
«Je lance de la droite et je voulais savoir si je pouvais encore lancer la rondelle de ce côté. C’était compliqué.»
De l’espoir
Quelques minutes avant l’entrevue, Beaulieu venait de recevoir une bonne nouvelle. Sa vision est maintenant rendue à 60% de sa capacité grâce à l’aide d’une lentille spéciale et de lunettes.
«C’est hyper encourageant. Après l’accident et les deux opérations, je voyais à 10%. Je suis maintenant à 20%. C’est un peu mieux.
«Mon cristallin a été enlevé. Afin que la rétine soit réparée, ils m’ont mis du silicone dans l’œil. Ils vont devoir l’enlever afin que je ne voie pas embrouillé pour le reste de mes jours.»
À la fin de 2023 ou en début de 2024, il devra subir une autre grosse intervention chirurgicale.
«Ça sera pour guérir ma vision. Pour le moment, je vois bien devant moi et c’est ma vision périphérique qui est atteinte. Je dois être très vigilant en voiture et je dois souvent faire répéter les gens qui sont dans mon angle mort.»
Il est de retour au boulot depuis quelques semaines. Il saute sur la glace avec un protecteur facial complet en compagnie de ses gardiens. Il est encore dédié à son métier, même si ce malheureux incident l’a forcé à revoir certains aspects de sa vie.
«C’est un message de la vie»
L’accident de Sébastien Beaulieu lui a permis de réaliser plusieurs choses importantes
Avant d’être atteint par une rondelle perdue, Sébastien Beaulieu travaillait beaucoup. Trop. Il était dans un état de surmenage depuis plusieurs années. Son accident a remis certaines priorités à la bonne place.

Beaulieu est employé à temps plein pour le club de Genève-Servette. Il dirige les gardiens de l’organisation depuis plusieurs années.
En plus de cet emploi, il a réalisé un rêve en fondant BKP Hockey en 2010. Une entreprise qui donne des cours privés aux gardiens de Genève. Peu de temps après l’ouverture du premier local, il a étendu son expertise à Lausanne. Un tourbillon infernal s’est ensuivi.
«J’en ai beaucoup trop fait, analyse Beaulieu. Je suis en surmenage depuis des années. Ma business était grosse, populaire et reconnue en Suisse.
«L’accident m’a permis de relativiser plein de choses. Tout d’abord, ce n’est pas moi qui devais être sur la glace le 15 décembre dernier. C’est une autre personne qui devait travailler.
«C’est un message de la vie. En raison de petits soucis personnels, j’avais commencé à me poser des questions dans les dernières années. J’étais en bonne forme et j’ai pris un coup dur à un organe important.»
À un certain moment, Beaulieu n’avait plus de plaisir à travailler dans le domaine qui le passionne. Même si son entreprise roulait bien.
«C’était devenu un fardeau économique. Ce n’était plus la passion qui me commandait, parce que je travaillais trop. C’est comme cela dans tous les domaines.»
Des changements en cours
L’homme de 47 ans a fait de gros sacrifices pour se bâtir une réputation enviable chez les Helvètes. Il n’a pas compté ses heures et la réponse «non» ne faisait pas partie de son vocabulaire.
«J’ai tout sacrifié, dont ma vie de famille, mentionne Beaulieu avec franchise. L’engrenage dans lequel je me trouvais était rendu trop fort.
«Je dois maintenant faire les choses de façon différente et ce n’est pas si je n’avais pas les moyens de le faire. Avant l’accident, je me disais déjà que je ne pouvais pas continuer de focaliser sur le travail et que je devais vivre différemment. C’est le réveil dont j’avais besoin pour changer.
«Durant ma réflexion, une question qui me revenait sans cesse: tu veux prouver quoi? Et à qui?»
Celui qui a grandi à Beauport est en train de planifier la suite de sa vie et de sa carrière.
«Je suis en train de faire des choix et je suis en train de tout changer pour ne plus vivre comme avant. Je ne veux plus courir après une rondelle entre quatre murs d’un local. On vendait une trentaine de cours privés par semaine. Ça demandait beaucoup d’énergie.
«Ce temps-là est fini pour moi.»
Huet, un apôtre de premier plan
L’ancien gardien du CH a moussé la notoriété de Beaulieu en Europe
Cristobal Huet, l’ancien gardien du Canadien, a permis à Sébastien Beaulieu d’acquérir une notoriété importante en Europe.
«J’ai reçu Cristo quelques années après son retour de la LNH [saison 2012-2013 avec Lausanne], explique Beaulieu. Je coachais Lausanne en ligue B et Genève en ligue A. On a travaillé ensemble pendant quelques saisons.
«Puis, on a aussi collaboré avec l’équipe nationale de France. J’ai été en mesure de le relancer et, du même coup, ça m’a beaucoup aidé dans ma crédibilité.»
Sous sa gouverne, Huet a obtenu du succès avec Lausanne. Il a retrouvé ses repères. Les statistiques sont là pour le prouver.
Le Québécois a aussi reçu un gros coup de pouce de Chris McSorley, le frère de l’ancien défenseur des Kings de Los Angeles, Marty.
Les deux hommes ont travaillé ensemble pendant une quinzaine d’années. Cette longue relation de travail se déroulait dans un contexte particulier.
«Il m’a aussi aidé à me mettre sur la map. Chris était propriétaire et également l’entraîneur de l’équipe à Genève. Il faisait signer des contrats à des joueurs tout en les dirigeant. Il n’était jamais menacé de se faire congédier.»
Grâce aux frères Matte
Si Beaulieu s’est expatrié en Suisse il y a une vingtaine d’années, c’est en raison des frères René et Louis Matte.
«À l’époque, le métier d’entraîneur des gardiens n’était pas toujours bien payé au Québec ou ailleurs. J’ai notamment travaillé dans le midget AAA avec le Séminaire Saint-François.
«En 2006, j’ai traversé de l’autre côté et c’est là que tout a décollé. C'est parti fort. J’étais le premier entraîneur des gardiens à temps plein en Suisse.»