Une Québécoise harcelée par des fraudeurs après une fuite de données massive


Julien McEvoy
Une éducatrice spécialisée de 39 ans victime d'une fuite de données reçoit des textos menaçants depuis deux mois par des fraudeurs qui connaissent son nom, son adresse et le montant qu’elle devait à un prêteur privé.
• À lire aussi: Une entreprise de Longueuil prise en flagrant délit de soutirer illégalement de l’argent aux emprunteurs
• À lire aussi: Fuite massive de données chez un prêteur à taux élevé: 150 000 Québécois exposés, aucun avertissement donné
«C’est la dernière goutte d’eau», lui ont écrit les harceleurs cette semaine. Pour Véronique Comeau, le cauchemar ne fait que commencer.
«Kronos ne répond pas de ses erreurs et les conséquences sont atroces», lance la résidente de la Rive-Sud de Montréal.
Son calvaire découle d’une fuite de données massive chez le prêteur à taux élevé Gestion Kronos en mai 2024. Une brèche qui touche 150 000 Québécois et que l’entreprise n’a pas dévoilée.
Des menaces jour et nuit
Les messages s’enchaînent sur le cellulaire de Véronique.
«Nous serons dans l’obligation de contacter votre employeur et vos références dès demain», menace un texto du numéro 438 230-9592 dont nous avons obtenu une capture d’écran.
Les harceleurs vont plus loin. Ils citent l’article 380 du Code criminel, parlent de fraude, menacent de saisie de salaire.
«Évitez la faillite ou laissez votre syndic en dehors de cela et réglez ce problème directement avec nous», exigent-ils.
• Regardez aussi ce podcast vidéo tiré de l'émission d’Isabelle Maréchal, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
Véronique vit en plus un cauchemar personnel. En arrêt de travail, elle souffre de sclérose en plaques et doit subir une opération pour un kyste à l’ovaire. Elle a récemment déposé une faillite légale, documentée et transmise à tous ses créanciers.
«Je ne suis pas riche. J’ai une maison, je roule mon entreprise, mais là, c’est trop», souffle celle qui est aussi photographe à son compte.
150 000 victimes dans l’ignorance
Le problème dépasse largement le cas de Véronique. En mai 2024, un pirate surnommé «Chucky» a publié la base de données de Kronos sur un site clandestin. Noms, adresses, numéros d’assurance sociale, relevés bancaires: tout y était.
«Juste avec un nom, une adresse et un courriel, on peut lancer des campagnes massives d’hameçonnage», explique Stéphane Auger, expert en cybersécurité chez Équipe Microfix.
Les témoignages s’accumulent sur Google et le site Fraude-Alerte.ca.
«Depuis un mois on me menace de souiller mon nom pour un prêt que j’ai jamais reçu», écrit un utilisateur.
«Courriels frauduleux voulant que je paie une dette sinon il me menace», ajoute un autre.
Kronos administre une dizaine de sites de prêts «rapides», comme pretalternatif.com et pretxtra.ca. Des entreprises qui ciblent souvent des Québécois en difficulté financière.
Kronos fait la sourde oreille
Contactée à répétition, Gestion Kronos refuse de répondre aux questions. L’entreprise est dirigée par Maxime William Martin.
Véronique a tenté de joindre l’entreprise. «Je leur ai écrit, je n’ai pas eu de réponse, dit Véroniqu. J’ai essayé d’appeler, ils ne répondent pas.»
La loi bafouée impunément
Depuis septembre 2023, la Commission d’accès à l’information (CAI) peut imposer des sanctions allant jusqu’à 25 millions $. Malgré 531 fuites de données déclarées, aucune amende n’a encore été imposée.
La loi 25 oblige les entreprises à signaler rapidement ce genre d’incident à la Commission. Elles doivent aussi prévenir les personnes concernées.
Kronos a ignoré ces obligations. Près d’un an plus tard, les Québécois dont les données ont été piratées ignorent toujours qu’elles circulent dans les réseaux criminels.
• Écoutez aussi cet épisode balado tiré de l'émission d’Isabelle Maréchal, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
Protégez-vous des fraudeurs après une fuite de données
Si vous êtes victime de harcèlement à la suite d’une fuite:
- Ne payez jamais les montants exigés par texto ou courriel
- Documentez tout: captures d’écran, numéros de téléphone, messages
- Signalez à la police si les menaces deviennent inquiétantes
- Contactez votre institution financière pour surveiller vos comptes
- Vérifiez votre dossier de crédit chez Équifax et TransUnion
- Portez plainte à l’Office de la protection du consommateur
Ressources utiles:
- Fraude-Alerte.ca pour signaler les fraudes
- Centre antifraude du Canada: 1 888 495-8501
- Commission d’accès à l’information du Québec
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.