Une ministre indifférente à la réalité financière des locataires: ils ont des droits, eux aussi!

Josée Legault
Le gouvernement Legault veut retirer aux locataires leur droit acquis de faire une cession de bail au même loyer payé. Si son projet de loi 31 est adopté, les propriétaires auraient dorénavant le droit de refuser sans motif sérieux.
En pleine crise du logement, la CAQ choisit le pire moment possible pour avantager ouvertement les locateurs. C’est à y perdre son latin et à s’en décrocher la mâchoire du même coup.
Avec une pénurie grave de logements et des loyers dont les prix grimpent de manière vertigineuse, ceux qui parmi les proprios cherchent surtout à maximiser leurs profits ont pourtant déjà le très gros bout du bâton.
Alors, pourquoi leur faire un tel cadeau en extra? La réponse est venue au fil de la tournée médiatique de France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation.
Elle a dit ceci de fort révélateur: «Tu ne peux pas utiliser un droit qui n’est pas le tien de céder un bail, quand ce n’est pas ton immeuble. Le locataire qui veut faire ça, qu’il investisse en immobilier. »Ah bon? Ce droit existe pourtant au Québec depuis longtemps.
Par où commencer? Primo, par sa remarque, la ministre, aussi une ancienne courtière en immobilier, envoie le message que le logement est ni un droit ni un besoin essentiel.
Dans sa vision, si on la comprend bien, c’est un bien immobilier. Point. Une possession mercantile, dont le profit maximal serait l’objectif premier.
Comme des vassaux
Deuxio – à moins que ses paroles n’aient dépassé sa pensée –, en invitant les locataires voulant faire une cession de bail à investir plutôt en immobilier, la ministre leur témoigne un mépris quasi ancillaire digne d’un régime seigneurial.
Dit autrement, tant qu’ils ne sont pas bénis du titre royal de «propriétaires», pourquoi donc auraient-ils le droit de se prévaloir de leur outil restant de solidarité entre locataires pris à la gorge par des augmentations abusives de loyer?
Or, pourquoi diable la condition même d’être «locataires» leur vaudrait, comme des vassaux, d’être privés tout à coup d’un droit acquis?
Par ses mots, France-Élaine Duranceau trahit aussi une indifférence déconcertante face aux réalités financières limitées de la plupart des locataires.
La crise du logement est réelle
Rappelons qu’à Montréal, 65 % des ménages, incluant de nombreuses femmes seules, sont locataires. Ce sont ceux et celles qui, n’ayant pas les moyens d’accéder à la propriété, contribuent rondement à payer les hypothèques de leurs locateurs. Alors, un peu de respect, s’il vous plaît.
La ministre croit-elle que parmi tout ce beau monde, ceux qui voudraient exercer leur droit de faire une cession de bail pourraient plutôt «investir en immobilier»? Comment le feraient-ils? En montant les marches de l’Oratoire à genoux? Soyons sérieux.
Parce que cette mesure du projet de loi 31 fait passer le droit au logement bien après le droit à la propriété, dont sa marchandisation accélérée, sur le plan social, elle est fort inquiétante.
Pour les locateurs qui, avant tout, cherchent à établir des rapports respectueux avec les locataires – et il y en a –, elle paraît tout aussi déraisonnable.
Quant à ceux dont le but est de profiter financièrement au max des locataires, pourquoi leur offrir le droit superfétatoire de refuser une cession de bail?
Malgré que la mairesse de Montréal et le gouvernement de la CAQ aient nié son existence jusqu’à récemment, la crise du logement n’est pas une fiction. Ceux qui la subissent le savent. La ministre serait sage de le savoir aussi.
On trouve quelques bons éléments dans son projet de loi, mais cette idée de retirer un droit acquis important aux locataires est injustifiée parce qu’elle est injustifiable.
C’est pourquoi cette mesure du projet de loi 31 mérite la filière 13 au plus vite. Ce qui serait, sans nul doute, un recul salutaire.