Une juge qui devrait gérer sa cour, pas faire de la politique


Antoine Robitaille
On a fait un lien, dans certains médias, hier, entre l’annulation du procès d’un trafiquant de drogue anglophone, Soninder Dhingra, et le combat pour le français.
Comme si ce combat avait conduit à ce triste résultat. J’ai beau chercher, je ne trouve pas le « rapport ».
On cherche évidemment à miner la position du ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette, aussi responsable de la langue française.
Ce dernier est engagé dans un bras de fer avec la juge en chef de la Cour du Québec (C.Q.), Lucie Rondeau, au sujet de la langue des juges.
Si on écoutait cette dernière, presque tous les 308 magistrats de la C.Q., partout au Québec, devraient être bilingues.
Bilinguisme
Le ministre estime, lui, qu’il vaut mieux y aller au cas par cas, même dans la région de Montréal, après examen des données sociolinguistiques de l’endroit où le juge siégera.
L’exigence du bilinguisme mur-à-mur ferait qu’une ou un brillant juriste étant surtout à l’aise dans la langue de Molière – la seule officielle au Québec – ne pourrait plus accéder à la C.Q.
C’est drôle, dans notre Dominion, on peut être nommé gouverneur général ou PDG d’Air Canada sans parler la seule menacée parmi les deux langues officielles ; tout en promettant de l’apprendre.
Mais on ne pourrait pratiquement plus accéder à la Cour du Québec si l’on parle d’abord et surtout le français. Même avec promesse de se mettre à l’anglais !
La juge Rondeau trouve l’affaire si épouvantable qu’elle a mobilisé les ressources de la C.Q. et du Conseil de la magistrature (qu’elle préside) pour poursuivre devant les tribunaux le ministre et le secrétaire à la sélection des juges !
Un « fait rarissime », écrivait le constitutionnaliste André Binette, hier. Pour lui, la juge en chef fait ainsi « fi de la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif ». Les concours de sélection des juges, estime-t-il, « sont la prérogative » du ministre de la Justice. « La juge en chef commet une erreur de jugement. »
J’ajouterais : comme lorsqu’elle a tenté d’empêcher nos élus de créer un Tribunal spécialisé en violences sexuelles et conjugales.
Droit fondamental
Le droit à un procès dans sa langue est fondamental dans notre Dominion. Bravo.
Mais depuis l’arrêt Beaulac de 1999, par lequel un accusé francophone a réussi à ce que ce droit soit consacré d’un océan à l’autre, a-t-on exigé que tous les juges soient bilingues dans le ROC ? Bien sûr que non.
Dans la cause Dhingra, la juge de la C.Q. Flavia K. Longo était surtout à l’aise en français, bien que le jugement sur la culpabilité fut prononcé en anglais. Mais qui, en définitive, est responsable de la désignation de Longo comme responsable de ce procès ?
La juge en chef Lucie Rondeau. Pourquoi n’a-t-elle pas choisi un magistrat plus habile en anglais, comme il y en a pas mal à la C.Q. ?
Dans le jugement qui ordonne un nouveau procès à Dhingra, la Cour d’appel a fustigé la C.Q. pour son « incurie », notamment en raison des nombreux problèmes éprouvés par les services d’interprétation et la transcription.
Or, la chef de la C.Q., celle qui la gère en toute indépendance – faut-il le rappeler – est Mme Rondeau.
Dhingra est sans doute une autre preuve que cette magistrate devrait se concentrer sur la gestion de sa cour, plutôt que sur la politique.