Une île léguée de génération en génération depuis 120 ans au large de Sept-Îles
L’île Manowin devrait rester entre les mains de la même famille pour encore très longtemps


Martin Jolicoeur
Plusieurs Québécois ont réalisé leur rêve d’habiter sur une île isolée du fleuve Saint-Laurent. Le Journal vous présente quelques-unes de ces histoires incroyables, mais aussi les défis que représentent ces lieux uniques.
Depuis plus de 120 ans, le destin d’une île nord-côtière est intimement lié à l’histoire d’une même famille dont le patriarche rêve qu’elle soit transmise en héritage pendant encore des centaines d’années.
«J’ai pratiquement été élevé sur cette île. Quand tu as été élevé ici, tu restes avec ça dans le cœur. Tu espères transmettre cet attachement», explique Gilles Blouin, un natif de la région aujourd’hui à la retraite.

L’île Manowin est l’une des sept grandes îles qui baignent au large de la baie de Sept-Îles, là où le fleuve Saint-Laurent mesure plus de 100 km de largeur. Par beau temps, il faut mettre facilement une trentaine de minutes pour la joindre à partir de la marina.
Son grand-père, Horace Desmeules, un capitaine de goélette assurant le transport de marchandises entre Québec et la Côte-Nord, a commencé à s’y intéresser au tournant du siècle dernier. En 1904, il l’a achetée pour «100 piastre [sic], payable en trois versements», selon les documents de l’époque.
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À son décès, il céda l’île à sa fille Adela, à qui il fait promettre de ne jamais s’en départir. C’est cette même promesse que son fils Gilles Blouin, devenu arrière-grand-père, continue aujourd’hui d’honorer, avec son épouse, Nicole.
«Mes trois enfants adorent l’île. Les étés de leur enfance se sont tous déroulés ici, comme ma mère l’avait fait avec moi. J’ai confiance qu’ils feront la même chose. En tous cas, lorsque mes petits-enfants débarquent, tu le vois dans leurs yeux: ils arrivent chez eux.»

Gilles Blouin s'explique le succès de cette transmission par les efforts déployés toute sa vie pour leur apprendre à aimer l’île, à la protéger et à respecter tout ce qu’on peut y trouver, notamment les goélands et les moyacs qui y séjournent. «On peut regarder, mais de loin, pour ne pas les déranger. La nature, il faut la respecter. Ça surprend; mais de toute ma vie, je n’ai jamais coupé un seul arbre sur l’île.»
Au fil des années, Gilles Blouin a soigneusement compilé, pour son plaisir et celui de sa descendance, les petites et grandes histoires fascinantes qui se sont déroulées sur l’île Manowin. Il en est ressorti un livre de 180 pages, minutieusement documenté et illustré.
Parmi ces histoires, il y a la visite improbable dans les années 60 du baron de Rothschild, alors actionnaire de la Banque d’Angleterre, forcé d’interrompre sa route vers Churchill Falls (Labrador) pour une nuit en raison du mauvais temps.

Ou encore le naufrage en 1693 du Corossol, un navire d’origine hollandaise sous pavillon français, qui a entraîné la mort de 50 à 100 passagers. Des canons ont depuis été retrouvés à proximité, dans les fonds marins. Des boulets du même bateau se sont aussi retrouvés sur l’île.
Ces épisodes rappellent la force des éléments qui entourent l’île Manowin et qui expliquent qu’elle soit, encore aujourd'hui, à peu près inaccessible l’hiver. «Ici, on est 140 km d’Anticosti et la côte sud se trouve 108 km... Alors quand il fait une bonne tempête, attache ta tuque! Car, quand il vente ici, il vente.»
M. Blouin a confiance malgré tout que ses enfants ne succombent jamais à l’envie de vendre l’île Manowin. Et si l’un d’eux en avait envie, il est prévu qu’il ne pourrait céder sa part qu’à un autre membre de la famille. Et, encore, pas à n’importe quel prix (!), afin de permettre aux autre membres de pouvoir se l’offrir.
«Sinon, à mon âge, je regarde les baleines, les oiseaux, leurs bébés venir au monde... Vraiment, tout est si beau sur notre île que je ne pourrais vraiment espérer plus.»
Île Manowin
- Localité: Sept-Îles, Côte-Nord
- Propriété: Gilles Blouin
- Acquisition: 1904
- Superficie: 2,1 hectares