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L'article provient de TVA Nouvelles
Société

Une IA qui corrige les textes de français dans une école publique près de chez vous

Un outil d’intelligence artificielle est utilisé dans des écoles de la Mauricie et du Saguenay

Ève Larouche enseigne le français à l’école secondaire des Bâtisseurs, à Jonquière. L’enseignante, que l’on voit ici en compagnie d’une élève, utilise l’outil d’intelligence artificielle Emilia pour être assistée dans la correction de textes.
Ève Larouche enseigne le français à l’école secondaire des Bâtisseurs, à Jonquière. L’enseignante, que l’on voit ici en compagnie d’une élève, utilise l’outil d’intelligence artificielle Emilia pour être assistée dans la correction de textes. Collaboration spéciale Roger Gagnon
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Photo portrait de Daphnée  Dion-Viens

Daphnée Dion-Viens

2025-05-28T04:00:00Z
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Une intelligence artificielle qui aide à corriger les textes de français est désormais utilisée dans des écoles de la Mauricie et du Saguenay, une première dans le réseau scolaire public. Cet «assistant» présenté comme «révolutionnaire» permettra-t-il aux élèves de mieux maîtriser le français? 

C’est du moins le pari fait par le Centre de services scolaire de l’Énergie, à Shawinigan. Depuis quelques semaines, une centaine d’enseignants de la fin du primaire et du secondaire expérimentent cet outil d’aide à la correction sur une base volontaire.

Au secondaire, plus de la moitié des profs de français s’en servent déjà.

La plateforme, baptisée «Emilia» et conçue par le collège privé Sainte-Anne, permettrait de réduire jusqu’à 75% le temps de correction, selon ses concepteurs (voir détails plus bas).

Au secondaire, l’expérience est un succès sur toute la ligne, affirme Sonya Gauthier, directrice adjointe des services éducatifs au centre de l’Énergie, qui ne cache pas son enthousiasme.

«Nos enseignants du secondaire adorent Emilia. C’est vraiment plus rapide pour la correction», affirme-t-elle, tout en précisant que l’objectif est de mieux faire réussir les élèves en français.

«Un plus pour l’élève»

Réduire le temps consacré à corriger des piles de copies permettra aux enseignants de faire écrire plus souvent leurs élèves en classe, une pratique gagnante favorisant l’amélioration, explique Mme Gauthier.

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«C’est vraiment un plus pour l’élève», dit-elle.

Au Saguenay, le Centre de services scolaire De La Jonquière fait un pari semblable dans ses écoles secondaires, où des enseignants de français expérimentent aussi cet outil de correction.

Avec 90 élèves et 20 minutes en moyenne par copie, Ève Larouche pouvait passer une trentaine d’heures à corriger chaque production écrite rédigée en classe.

Depuis qu’elle utilise l’intelligence artificielle, «Emilia me donne sa note et moi je valide», explique l’enseignante d’expérience, impressionnée par ses prouesses. «Je n’ai pas eu grand conflit cognitif avec elle jusqu’à maintenant», lance-t-elle.

Mme Larouche peut maintenant remettre beaucoup plus rapidement les copies corrigées à ses élèves, accompagnées de nombreux commentaires audio.

Cette pratique a un impact beaucoup plus important que celui d’une copie remise des semaines plus tard avec quelques commentaires griffonnés au bas de la page que les ados ne prennent pas la peine de lire, explique l’enseignante.

«Ça va être gagnant pour les élèves», dit-elle.

Apprentissage ciblé

L’outil permet aussi de réaliser rapidement un profil de scripteur pour chaque élève, ce qui aide l’enseignant à cibler les notions à travailler avec ses élèves en sous-groupes, ajoute Yan Bilodeau, directeur adjoint aux services éducatifs.

Cette «pratique probante» était déjà en place dans les écoles secondaires du centre De La Jonquière, mais était réalisée «à la mitaine», indique M. Bilodeau, qui encadre ce projet pilote en vue d’un déploiement à plus grande échelle à la rentrée.

L’avenue sera jugée intéressante si les gains vont au-delà de la réduction du temps de correction, précise-t-il (voir autre texte à lire plus bas).

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Capture d’écran tirée de la plateforme Emilia (fournie par le Centre de services scolaire De La Jonquière)
Capture d’écran tirée de la plateforme Emilia (fournie par le Centre de services scolaire De La Jonquière)

Emilia: comment ça marche?

1) L’élève rédige un texte à l’écran (ou recopie au clavier la version «au propre» d’un texte écrit à la main).

2) L’IA corrige le texte automatiquement, à partir des grilles d’évaluation du ministère de l’Éducation. L’outil détecte les fautes d’orthographe et de syntaxe, mais évalue aussi l’organisation des idées et la cohérence du texte. La progression des apprentissages est aussi respectée. Une faute commise par un élève de première secondaire ne sera pas pénalisée si cette notion est enseignée seulement en troisième secondaire, par exemple.

3) L’enseignant valide la correction et y ajoute des commentaires personnalisés audio.

Combien ça coûte?

Des frais fixes sont exigés pour le stockage des données en plus d’un coût par utilisation de 0,25$ en moyenne par texte (selon le nombre de mots et de fautes).

Note: la version offerte présentement, qui est toujours en développement, est un prototype qui permet d’identifier 83% des fautes de français, une proportion en constante progression, selon ses concepteurs.

«On ne remplace pas le prof, on l’assiste»

L’outil de correction Emilia est un «assistant» qui ne «remplace pas le prof», affirment ses concepteurs. Or la ligne entre les deux est «très, très mince», prévient un expert.

L’enseignant qui utilise Emilia doit relire chaque copie et valider la note donnée par l’intelligence artificielle. Il garde «le plein contrôle» sur son assistant IA et peut en tout temps modifier un élément dans la grille de correction, explique Stéphane Côté, enseignant et responsable du projet.

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Les risques de glissement vers une «perte de pouvoir de l’enseignant» sont toutefois bien réels, affirme, pour sa part, Patrick Giroux, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi spécialisé en éducation numérique.

«On veut que l’enseignant utilise ça pour accélérer son jugement professionnel, c’est correct. Mais la ligne est très, très mince entre ça et un enseignant qui regarde vite vite et approuve la note de l’IA» sans véritable processus de validation, explique-t-il.

C’est aussi ce que veut éviter le Centre de services scolaire De La Jonquière. Son directeur adjoint aux services éducatifs, Yan Bilodeau, parle de «gestion de risques» encadrée par des «balises claires et précises».

Même s’ils utilisent Emilia, les enseignants doivent repasser sur chacune des copies et tirer parti du temps gagné pour bonifier leur enseignement, précise-t-il.

Son équipe collaborera d’ailleurs avec Patrick Giroux afin de documenter l’impact de l’utilisation d’Emilia pendant la prochaine année scolaire.

Il sera intéressant de voir si cette IA remplira toutes ses «promesses», dit M. Giroux.

Pas pour toutes les écoles

De son côté, l’Association québécoise des professeurs de français (AQPF) tient à rappeler que l’accès aux ordinateurs est encore «très limité» dans plusieurs écoles publiques.

«C’est utopique de penser que tout le monde va avoir accès à ça, les budgets sont tellement limités», affirme sa responsable des communications, Alex-Anne Flambert.

Pour l’AQPF, Emilia représente de toute façon une fausse solution à un vrai problème. «Ce qu’on veut, ce n’est pas un logiciel pour faire un travail à notre place, c’est du temps pour faire notre travail adéquatement», indique Mme Flambert.

Au cabinet du ministre de l’Éducation, on suit la progression de cette plateforme «avec beaucoup d’intérêt».

«On a tout intérêt à utiliser, de façon éthique et responsable, le potentiel de l’intelligence artificielle pour soutenir l’éducation et la réussite de nos élèves. C’est justement ce que semble être l’objectif de l’outil Emilia», indique-t-on dans une déclaration écrite.

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