Une espèce de loup menacée d’extinction oubliée par Québec
Comptant moins de 500 individus, elle est pourtant protégée en Ontario


Mathieu-Robert Sauvé
Une sous-espèce menacée de loup, le loup de l’Est, pourrait disparaître de la province, car Québec n’a pas l’intention de la protéger comme le fait déjà l’Ontario depuis 20 ans.
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«Il n’y a pas de programme de protection du loup de l’Est au Québec, parce qu’on connaît encore mal cette sous-espèce», explique Marianne Cheveau, biologiste spécialisée dans les animaux à fourrure au ministère de l’Environnement, de la Lutte aux changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELFP).
Il n’y aurait plus que 500 loups de l’Est (Canis lycaon) au Québec et en Ontario. La sous-espèce jouit d’un plan de protection officiel du gouvernement fédéral depuis 2021, comptant près de 40 mesures dont l’élimination des «menaces pesant sur l’espèce et son habitat». Piégeage et chasse sont plus sévèrement réglementés.
L’Ontario n’a pas attendu le fédéral pour agir. Dès 2001, le piégeage du loup a été formellement interdit dans les 40 comtés entourant le parc Algonquin. En 2004, la capture de coyotes a même été stoppée, pour éviter que des loups de l’espèce en danger ne soient capturés par erreur.
400 bêtes tuées par an
Au Québec, environ 400 loups sont capturés chaque année par des trappeurs et aucune restriction ne s’applique sur les sous-espèces, précise le ministère.
Des loups de l’Est sont donc vendus pour leur peau sans savoir que ces individus sont protégés par des lois canadiennes et des règlements stricts de l’autre côté de l’Outaouais.
«Les trappeurs ne peuvent pas faire la différence entre un loup gris, un loup boréal et un loup de l’Est, trois sous-espèces présentes dans l’ouest du Québec. Seuls des échantillons de tissus peuvent nous permettre de les identifier», explique le biologiste Michel Hénault, qui a travaillé 30 ans pour le MELFP avant de prendre sa retraite en 2017.
Ce spécialiste des canidés continue de colliger des échantillons de peaux de bêtes capturées par les trappeurs des Laurentides et de l’Outaouais. L’an dernier, 36 loups ont été piégés dans les deux régions, toutes espèces confondues.
«On doit mettre plus d’argent et de ressources sur la recherche pour mieux connaître la population de loups de l’Est», poursuit Hélène Jolicœur, biologiste et ex-collègue de M. Hénault. Avec ce dernier, elle a créé un guide de reconnaissance des différentes sous-espèces de canidés que le ministère tarde à rendre public.
La menace du coyote
Cette biologiste estime que les loups forment une population stable dans la plus grande partie du Québec. Un heureux contraste après la vaste campagne d’extermination massive en Europe et en Amérique du Nord, dont l’espèce a été victime. Dans 48 des États américains, il avait totalement disparu.
Mais la plus grande menace actuellement n’est pas la peur ou le commerce de sa fourrure, mais l’invasion du coyote. Cette espèce, complètement étrangère à notre écosystème, a été aperçue pour la première fois en 1944 et n’a jamais cessé de progresser depuis.
Coyotes et loups peuvent s’accoupler et donner une progéniture fertile. «Nous sommes témoins actuellement de l’évolution en marche. Une nouvelle espèce est peut-être en train se créer sous nos yeux», conclut Mme Jolicœur.
UN LOUP EN DANGER :
- Le loup de l’Est est plus petit que le loup gris. Sa fourrure oscille entre le gris et le brun avec du noir sur le dos et les flancs.
- En raison de ses ressemblances avec ses «cousins» le loup gris et le loup boréal, il est presque impossible de distinguer visuellement le loup de l’Est. Il serait également assez semblable aux coyotes.
- Une meute de loups compte de cinq à huit individus et couvre un territoire qui peut atteindre 13 000 km. Parfois, un individu part explorer d’autres sites où il fondera sa propre meute.
- En chassant surtout de grands herbivores (cerfs, orignaux), les loups jouent un rôle crucial dans la régulation des populations.
- Même si la présence de loups de l’Est n’est pas confirmée aux États-Unis, cette espèce est protégée en vertu de la Loi sur les espèces en danger (Endangered Species Act) depuis 1978.
Cinq meutes vivent dans le parc du Mont-Tremblant
Le Parc national du Mont-Tremblant, où vivent au moins cinq meutes, est l’endroit où le loup est le mieux étudié au Québec.
Une vaste étude en 2016-2017 a prouvé que cinq meutes de loups ont élu domicile dans le Parc du Mont-Tremblant, dans les Laurentides.
Grâce aux biologistes, 16 loups ont été capturés et relâchés avec des colliers émetteurs qui ont permis de mieux connaître ces grands prédateurs.
L’analyse de l’ADN a permis d’identifier trois loups de l’Est.
«Nous avons pu identifier les tanières des loups et des endroits où ils convergent à certains moments de l’année avant de partir à la chasse», explique au Journal René Charest, responsable de la conservation à la Société des établissements de plein air et des parcs du Québec.
Les meutes se portent bien, mais les bêtes quittent aussi parfois les frontières du parc.
Hors des aires protégées, ils risquent d’être la cible de chasseurs et de trappeurs, en plus d’être victimes d’accidents de la route.
3 % des loups
L’étude, intitulée Identification génétique et répartition spatiale des grands canidés sauvages au Québec, a confirmé la croissance démographique fulgurante du coyote dans le sud du Québec et a évalué à 3 % le pourcentage de loups de l’Est dans l’ensemble du territoire québécois.
Une nouvelle étude, moins invasive, consistant à photographier les loups au moyen de caméras disséminées dans la forêt, permettra de mieux comprendre l’évolution des sous-espèces.
La Sépaq veut documenter la répartition des loups, car les touristes sont nombreux à témoigner de leur présence.
Toutefois, aucune attaque sur des humains n’a été rapportée à la Société depuis au moins 30 ans, assure M. Charest.
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