Une année mouvementée pour Pierre Fitzgibbon et la Caisse
La CDPQ a dû affronter les montagnes russes des marchés, et le ministre, de nouvelles questions d’éthique


Sylvain Larocque
C’est l’heure des bilans pour la Caisse de dépôt et le tout-puissant ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon. Si la première a réussi à tirer son épingle du jeu malgré des marchés en déroute, le second a connu une autre année houleuse.
Après plusieurs années de sous-performance, la Caisse a annoncé en février avoir réalisé un rendement de 13,5 % en 2021, soit près de trois points de plus que son portefeuille de référence.
Un investissement effectué à la fin de 2021 a toutefois hanté l’institution pendant une bonne partie de l’année : le pari de 200 millions $ fait sur Celsius Network, une cryptobanque américaine.
Le fiasco Celsius
« Personne à la Caisse – moi le premier – n’est content du résultat de ce dossier-là », a admis en août le PDG de la Caisse, Charles Emond, en rappelant que lui et ses collègues avaient eu « de bonnes intentions » en ciblant les cryptomonnaies.
Yan Cimon, professeur de management à l’Université Laval, ne tient pas trop rigueur à la Caisse de s’être aventurée – comme d’autres grands investisseurs – dans ce secteur imprévisible.
« C’est peut-être une occasion de réfléchir à la diligence raisonnable et aux critères d’investissement qu’on veut se donner pour des secteurs plus nouveaux et moins bien encadrés », affirme-t-il.
Rendement acceptable
Malgré ce faux pas, la Caisse a bouclé la première moitié de 2022 en devançant ses pairs. Elle a enregistré un rendement de -7,9 %, supérieur à celui de -10,5 % affiché par son indice.
De son côté, M. Fitzgibbon a commencé l’année en réformant le programme Essor, le principal outil du gouvernement pour soutenir financièrement les entreprises. Face à la pénurie de main-d’œuvre, le programme vise désormais moins la création d’emplois que l’augmentation de la productivité, même si cela se traduit par une réduction du nombre de travailleurs.
En juin, le ministre a annoncé la fin des programmes visant à aider le secteur privé à faire face à la pandémie. Du printemps 2020 à septembre 2022, 1479 entreprises ont bénéficié du plus important de ces programmes, le PACTE. Elles ont reçu plus de 1,2 milliard $ en prêts ou en garanties de prêt.
Plus d’aide aux entreprises
Le PACTE a continué de faire gonfler l’aide que le ministère de l’Économie a versée aux entreprises. Au cours de l’exercice qui a pris fin le 31 mars, le total a dépassé 1,6 milliard $, soit 40 % de plus que l’année précédente.
Après la réélection du gouvernement Legault, en octobre, Pierre Fitzgibbon est devenu « superministre », ajoutant le dossier de l’énergie – plus précisément celui d’Hydro-Québec – à ses responsabilités liées à l’économie et à l’innovation.
Ce sont toutefois les questions de gouvernance qui ont marqué la fin de l’année de M. Fitzgibbon.
En octobre, Le Journal a révélé que Québec a investi près de 150 millions $ dans six entreprises détenues par une firme de Michel Ringuet, l’ancien mandataire de la fiducie du ministre. À la suite d’une demande du Parti Québécois, la commissaire à l’éthique, Ariane Mignolet, a ouvert une enquête, qui sera la cinquième concernant Pierre Fitzgibbon.
« C’est une question directe de conflit d’intérêts », a estimé Saidatou Dicko, professeure de comptabilité à l’UQAM et spécialiste en gouvernance.
À la chasse chez les riches
Puis en décembre, notre Bureau d’enquête a appris que le ministre a participé à une partie de chasse sur une île privée appartenant à de riches hommes d’affaires, dont Paul Desmarais Jr, Jean-Louis Fontaine et Louis Vachon. Résultat : Mme Mignolet a lancé une sixième enquête à propos de M. Fitzgibbon.
Se montrant de plus en plus irrité par l’examen de ses décisions par les médias, le ministre a accusé un journaliste du Journal de faire preuve de « mauvaise foi » en posant des questions à propos du don testamentaire de 5 millions $ qu’il a fait cet automne à son alma mater, HEC Montréal. Cette sortie inusitée a suscité la désapprobation de l’opposition et de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
Quelques dates marquantes pour la Caisse et le super ministre Fitzgibbon en 2022
18 janvier

La Caisse investit plus de 400 millions $ pour accroître sa participation dans Énergir. Le bas de laine des Québécois et le Fonds de solidarité FTQ sont aujourd’hui les seuls actionnaires du distributeur de gaz et d’électricité, en faisant une entreprise entièrement québécoise.
8 juin

Le ministre Pierre Fitzgibbon a soupé avec son ami, Luc Laperrière, le soir même de l’annonce d’un investissement public de 98 millions $ dans Polycor, indique Le Journal. Or, M. Laperrière a obtenu deux mandats de représentation de la part de Polycor au cours des dernières années. L’entreprise est un gros joueur de l’industrie de la pierre naturelle destinée au secteur de la construction et de la rénovation.
13 juillet

Insolvable, la « cryptobanque » américaine Celsius Network, dans laquelle la Caisse de dépôt a investi environ 200 millions $ en octobre 2021, se protège de ses créanciers. L’institution a rapidement radié le placement de ses états financiers, ne s’attendant pas à pouvoir le récupérer.
24 octobre

Le Journal écrit que le gouvernement Legault a investi 50 millions $ dans LMPG, une entreprise dont l’un des administrateurs est Michel Ringuet, ancien mandataire de la fiducie du ministre Pierre Fitzgibbon. En tout, c’est près de 150 millions $ que Québec a injectés, en 2020 et en 2021, dans des entreprises dont est actionnaire la firme de M. Ringuet.
8 décembre

Notre Bureau d’enquête révèle que Pierre Fitzgibbon a participé à une partie de chasse au faisan sur une île privée du lac Memphrémagog appartenant à un groupe de riches hommes d’affaires, dont Paul Desmarais Jr, Jean-Louis Fontaine et Louis Vachon. Des entreprises appartenant à certains d’entre eux ont eu droit à de l’aide financière du gouvernement ces dernières années.
22 décembre

Le Journal constate que le ministère de l’Économie a acheté, en juillet, pour 49 millions $ d’actions de Lightspeed Commerce sans faire de divulgation publique immédiate. « Étant donné la période préélectorale, il a été décidé de ne pas annoncer l’intervention », a soutenu Mathieu St-Amand, porte-parole du ministre Fitzgibbon.
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