Une analyse balistique permet de déterminer que l’assassin était un prêtre


Mathieu-Robert Sauvé
Le 7 janvier 1922, Raoul Delorme est retrouvé mort dans le quartier Snowdon, à Montréal, la tête criblée de balles. Les soupçons se dirigent rapidement vers son frère, l’abbé Adélard Delorme, qui a contracté une assurance vie de 25 000 $ à son nom une semaine plus tôt.
Dans les années 1920, il est impensable qu’un prêtre puisse être accusé de meurtre et les accusations avaient fait scandale. D’autant plus que l’abbé a tout nié avec énergie. Il a même présidé aux funérailles de son frère.
Il offrira personnellement une prime de 10 000 $ aux témoins capables de mener les enquêteurs vers les meurtriers de son frère. Mais devant les preuves accablantes, il sera arrêté et jeté en prison.
Au terme de quatre procès retentissants qui tiendront en alerte les lecteurs de journaux à l’époque – on est bien avant l’invention de la télévision –, l’homme d’Église échappera à la condamnation.

La signature du pistolet
Habile manipulateur qui n’hésite pas à utiliser les journalistes pour faire passer ses messages, l’abbé Delorme jouera la carte de la fausse piste et plaidera sa cause jusqu’au bureau du premier ministre du Québec, Louis-Alexandre Taschereau.
En vain. L’enquête révèle qu’il a été déshérité par son père quelques années plus tôt au profit de son frère Raoul. Peu avant le meurtre, Adélard a rédigé un faux testament signé Raoul Delorme, dans lequel l’abbé devenait l’unique héritier légal des biens de son frère.
Durant le procès, on fera appel à des experts en graphologie de New York qui démontreront clairement que le suspect a falsifié ces documents.
Mais c’est le pistolet de marque Bayard calibre 25 trouvé chez l’abbé qui constitue la preuve la plus accablante. C’est là qu’entre en scène le Dr Wilfrid Derome, fondateur du laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale du Québec (qui s’appelle alors le laboratoire de police scientifique).
«L’analyse balistique mise au point par le Dr Derome à l’occasion du troisième procès de l’abbé Delorme a lancé une expertise originale qui allait devenir l’une des forces de son équipe», commente Simon Dubé, adjoint exécutif du laboratoire, rue Parthenais.
M. Dubé, également historien, résume la technique mise au point par le médecin consistant à enduire d’encre les balles extraites du cadavre. En déroulant la balle sur un papier, on voit clairement la signature des fissures sur le boulet. Comparée à celle d’une balle tirée par le révolver du suspect, on peut démontrer la concordance.
Cette technique, le médecin l’avait apprise à Paris avant d’ouvrir son laboratoire ouvert en 1914.


La vengeance d’un déshérité
Adélard Delorme passera 989 jours en prison. En raison de multiples problèmes en cour, les trois premiers procès mènent à l’abandon des procédures et il faudra tout recommencer à zéro.
Malgré tout, 10 des 12 jurés innocenteront le prêtre qui retrouvera son ministère après sa libération jusqu’à son acquittement, le 2 novembre 1924. Une foule l’acclame à sa sortie de prison.
«Jamais, dans les annales criminelles du Canada, un meurtre n’avait encore suscité un intérêt aussi général et considérable», pouvait-on lire à la une de La Presse le 15 février 1922.
