Une agence à deux têtes qui rend sceptique

Antoine Robitaille
Il fut un temps, au début du présent siècle, où l’on croyait remettre notre système de santé sur pied en y mettant, à sa tête, de «vrais médecins».
Élu en 2003, Philippe Couillard avait suscité beaucoup d’espoir. Il démissionna en 2008 pour aller explorer «d’autres horizons» (avant de revenir en 2013 à la tête du PLQ).
Le remplaça fin juin 2008 un autre médecin, Yves Bolduc. Alors non élu, il est nommé ministre par Jean Charest, minoritaire. Bolduc, promoteur des méthodes Toyota et «Lean», se refusait de faire une «révolution» en santé. Le médecin risqua malgré tout ce pronostic: «Il faut s’attendre à ce qu’il y ait beaucoup d’amélioration dans le réseau.»
L’éphémère gouvernement Marois aura lui aussi son ministre-médecin, Réjean Hébert. Lui succédera Gaétan Barrette, qui tenta, quant à lui, des «révolutions», mais fut stoppé par l’ex-médecin-ministre devenu premier ministre, Philippe Couillard.
- Écoutez la rencontre politique entre Antoine Robitaille et Benoît Dutrizac via QUB :
Gestionnaires
Décrédibilisée par l’absence de résultats marquants, la mode des médecins ministres fit place, en 2018, à celle des «gestionnaires». Le PLQ dégota l’étonnante Gertrude Bourdon, ex-tsarine du CHU de Québec ayant «magasiné» du côté de la CAQ. François Legault répliqua avec Danielle McCann, elle aussi ancienne PDG, plus précisément de l’Agence de santé et de services sociaux de Montréal.
En pleine pandémie, François Legault la remplacera par Christian Dubé, gestionnaire issu du privé et épris de tableaux de bord. Sa conclusion, après deux années à la tête du «système»: si l’on veut améliorer les services, il faut une «refondation». Plus prosaïquement: rejouer encore dans les structures.
Il exhuma une solution développée par la Commission Clair en 2000: distinguer orientations et opérations. Créer une agence, une seule. (Car Couillard avait déjà démantelé les anciennes Régies régionales pour créer les Agences régionales. Lesquelles furent abolies par Barrette.)
- Écoutez la rencontre Lisée - Montpetit avec Jean-François Lisée et Marie Montpetit via QUB :
Co-porte-parole du privé?
Améliorer l’accès aux services, voilà ce qui est urgent. Mais nos gouvernants, médecins ou gestionnaires, commencent toujours par jouer dans les structures.
La nouvelle Agence prend forme sans que l’on comprenne vraiment comment elle sera constituée. Issue du privé, la nouvelle PDG Geneviève Biron, présentée hier, a dit souhaiter avoir un «impact pour de vrai dans la vie des gens». Sauf qu’elle devra passer des mois à constituer sa garde rapprochée, faire une tournée de son agence mammouth, préciser son budget, construire un «mur de Chine» pour ne pas favoriser ses proches... «Donnons-nous le temps», a-t-elle insisté. L’avons-nous vraiment, ce temps?
Après les médecins-ministres et les gestionnaires, une nouvelle solution montre le bout de son nez: le privé. Sans diaboliser toutes ses formes (après tout, il y a en Europe des systèmes mixtes équitables), il faut se méfier des tendances de certains acteurs privés à phagocyter le réseau (agences de placement, etc.).
Le gouvernement pense répondre à cette appréhension en postant une sorte de garde du corps du public, Frédéric Abergel, aux côtés de Mme Biron. On a envie d’être bons joueurs, de donner la chance à la coureuse et au coureur. Mais on a le droit d’être inquiet. Notamment de la lenteur et de l’opacité qui caractériseront probablement cette direction bicéphale.