Un sous-traitant de Molson contamine les eaux de Terrebonne
Le groupe Triani, déjà accusé de soutirer des millions de dollars à des microbrasseurs, pollue illégalement depuis presque trois ans


Julien McEvoy
Chaque jour depuis des années, le groupe Triani déverse des eaux contaminées à Terrebonne. La Ville tente de freiner son usine dans une poursuite qui cite le géant Molson.
Le fabricant de boissons rejette dans les égouts municipaux depuis 976 jours de suite ses eaux contaminées au pH hors norme et au taux de DCO et de phosphore trop haut.
Non seulement la qualité de l’eau en souffre, affirme la Ville, mais la présence de ces polluants augmente ses frais de traitement des eaux usées.
Au point où Terrebonne a déposé une poursuite en Cour supérieure en mai dernier pour forcer l’usine à se conformer ou fermer.
Triani cumule quatre verdicts de culpabilité en 24 mois dans la municipalité.
Les rejets de l’usine qu’elle possède depuis 2018 sont non conformes, ses effluents ne sont pas caractérisés et le travail d’un fonctionnaire est entravé, a reconnu la Cour.
S’ajoutent 125 600 $ d’amendes réparties dans 14 autres constats émis pour récidives aux mêmes infractions.
Depuis, le couple derrière Triani, Tristan Bourgeois Cousineau et Joannie Couture, continue de produire et d’embouteiller des boissons alcoolisées de la même façon dans son usine du 901, rue des Forges, à Terrebonne.

« On dépasse les normes de rejets de DCO. On était à 4000 ppm au lieu de 1000 ppm, en 2021 », reconnaît Joannie Couture en entrevue avec Le Journal.
Gros clients
Le couple fabrique les seltzers Coors et les spiritueux Ungava dans son usine de Terrebonne, lit-on dans la poursuite.

Comble de l’ironie, Molson Coors « aide à restaurer les eaux du Canada », peut-on lire sur ses canettes produites à Terrebonne par Triani.
Le fleuron québécois offre peu de détails sur sa relation avec Tristan et Joannie.
« Molson Coors ne travaille pas avec le Groupe Triani depuis déjà quelque temps », se contente de dire François Lefebvre.
À quel moment et pourquoi le géant a-t-il déchiré son contrat avec le couple ? Depuis quand durait ce partenariat ?
Le responsable des affaires publiques de Molson ne répond pas aux demandes de précisions du Journal.
Au dépanneur actuellement, les canettes de Coors Seltzer en vente sont produites à Terrebonne.

Une ingénieure de la Ville de Terrebonne part le bal à l’hiver 2021 quand elle demande à Triani d’effectuer une caractérisation des eaux usées rejetées par son usine.
L’entreprise obéit. Résultat : eaux contaminées non conformes au règlement sur l’assainissement des eaux de la Communauté métropolitaine de Montréal.
« Nos conduites d’égout, notre station de pompage et notre station d’épuration sont touchées », précise la Ville.
Terrebonne exige au printemps 2021 que Tristan et Joannie établissent un plan d’action. Le couple cesse à ce moment de collaborer avec les autorités.
« Les déversements sont quotidiens », souligne la Ville, qui teste les rejets de l’usine de la rue des Forges depuis 32 mois. Chaque fois, ils sont non conformes.
Non-conforme
Triani a sa propre version des faits. « Nous avons produit un nouveau rapport de caractérisation des eaux en novembre 2022. Nous étions à 1200 ppm au lieu de 1000. Nous sommes très au courant que la norme, c’est 1000 », indique Mme Couture au téléphone.
Le maire de Terrebonne refuse de parler au Journal puisque le dossier est judiciarisé. La Ville indique toutefois que le rapport de novembre 2022 « a été jugé non conforme en raison d’irrégularités ».
Il n’a pas été signé par un membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec, de l’Ordre des chimistes du Québec ou de l’Ordre des technologues du Québec, indique-t-on.
Les résultats étaient aussi « non conformes puisqu’ils ne tenaient pas compte de la dilution, ce qui les rendait non représentatifs ».
La Ville a demandé des corrections au rapport à l’entreprise. La demande est demeurée sans suite.
La poursuite de la Ville de Terrebonne suit son cours au palais de justice de Saint-Jérôme. Elle pourrait durer encore des années.
Triani rejette toujours, pour l’instant, ses eaux contaminées dans les tuyaux de la municipalité de 120 000 habitants.
Plusieurs autres figures de proue du Québec inc. dans la tourmente
La famille Molson n’est pas le seul membre du gratin de l’économie du Québec à faire partie de l’histoire de Triani.
On compte aussi un ancien grand patron de la Société des alcools du Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec dans les personnages.
La Caisse choisit par exemple Triani au détriment de RJ Brasseurs en 2022 pour se porter acquéreur du groupe Glutenberg, en chute libre depuis.
Les entreprises de Tristan Bourgeois Cousineau et Joannie Couture, le couple derrière Triani, sont alors poursuivies de partout en cour par une firme de marketing, un courtier en douanes, de nombreux brasseurs, un fournisseur de bouteilles, un service comptable, un atelier d’usinage, un distributeur, un gestionnaire de déchets, un consultant, un vendeur de chariots élévateurs, une firme d’ingénierie, un ex-directeur des ventes, une firme d’études de marché, un service informatique...
« Au moins trois entreprises sont poursuivies, pas juste Triani, et on règle toujours hors cour », souligne Joannie Couture.
Spiritueux spirituels – administré par l’ancien numéro un de la SAQ Alain Brunet – est l’une des PME (plus de 40) en conflit avec Triani.
La liste est longue.
« Je vais survivre, mais j’ai les deux jambes cassées », illustre Keegan Kelertas, un brasseur à qui Transbroue – qui appartient à Tristan et Joannie – doit 200 000 $.
Aussi des heureux
Triani compte aussi des clients heureux, comme l’entrepreneur-influenceur Olivier Primeau, qui produit sa nouvelle boisson à Terrebonne depuis peu.
« Je ne les défends pas, mais moi, pour l’instant, ça va bien », dit le proprio de Beach Day Every Day.
►Transbroue est une entreprise distincte de Triani. Les deux ont les mêmes propriétaires : Tristan Bourgeois Cousineau et Joannie Couture. Le couple possède Transbroue depuis août 2022. Ils ont fondé Triani en 2014. À l'époque, Triani achetait du vin italien avant de l'embouteiller et de le vendre dans les dépanneurs et les épiceries.
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