Un Québécois retrace la plus vieille amputation connue de l’humanité
La chirurgie remonterait à 31 000 ans, à l’âge de pierre


Dominique Lelièvre
Après avoir dévoilé la plus vieille œuvre d’art rupestre, l’archéologue québécois Maxime Aubert récidive: avec son équipe, il révèle au monde ce qui serait la plus ancienne trace connue d’un acte médical avancé, une amputation exceptionnelle réalisée par un «chirurgien» de l’âge de pierre il y a... 31 000 ans.
Tout a commencé en 2020 par la découverte du squelette d’un chasseur-cueilleur dans une tombe sur le site de Liang Tebo, une grotte calcaire reculée située au beau milieu de la jungle dans la partie indonésienne de l’île de Bornéo, en Asie du Sud-Est.

Les scientifiques ont vite remarqué qu’il manquait un pied et la partie inférieure de la jambe gauche à cet individu, qui aurait eu environ 18 ou 19 ans à son décès.

Les signes de guérison et de découpe ont permis d’établir qu’il aurait été amputé six à neuf ans avant sa mort, durant son enfance. Cette ablation n’était visiblement pas accidentelle, mais bien volontaire, sûrement pour des raisons médicales.

Étonnant
Un constat renversant : non seulement cet enfant aurait survécu à une opération à très haut risque, mais il aurait ensuite continué à vivre pendant plusieurs années malgré sa mobilité réduite, et ce en terrain montagneux. Ceci pourrait s'expliquer par un fort sentiment de fraternité dans son groupe, selon les chercheurs.

«[Les membres de son peuple] ont reconnu qu’il fallait couper cette partie de la jambe pour la survie de l’individu, mais il fallait aussi qu’ils aient des connaissances anatomiques, naviguer les vaisseaux sanguins», s’étonne le Lévisien d’origine Maxime Aubert, qui co-dirigeait le projet de recherche.

Par exemple, cela suppose des connaissances détaillées pour stopper la perte de sang ou prévenir les infections. Une intervention chirurgicale de cette nature requiert des soins postopératoires intensifs, notamment de nettoyer la plaie fréquemment.
«Probablement qu’ils avaient trouvé des plantes anesthésiques, antibactériennes, anti-inflammatoires», avance l’archéologue et géochimiste, un ancien de l’Université Laval établi depuis de nombreuses années en Australie, où il est professeur à l’université Griffith.

«L’amputation en tant que punition est considérée comme étant peu probable, en particulier compte tenu du traitement attentif reçu par l’individu dans la vie après l’amputation et lors de [son] enterrement», précise l’article scientifique publié dans la revue Nature.

Avant l’agriculture
L’autre surprise est venue des analyses en laboratoire qui ont précisé la date du décès: il y a plus de 31 000 ans, avant la révolution de l’agriculture et l’invention de l’écriture.

Cette découverte bouscule la compréhension qu’on avait des débuts de la médecine, puisque la précédente indication la plus ancienne d’une procédure chirurgicale – un fermier français de l’ère néolithique amputé de l’avant-bras gauche – remontait à seulement 7 000 ans, selon l’étude.

«Il y a quelque chose de vraiment spécial qui s’est passé» à cette époque à Bornéo, affirme M. Aubert, en référence aux cavernes couvertes de peintures sophistiquées localisées dans la même région et aux connaissances maritimes que ces peuples avaient.

C’est un autre fait d’armes pour le Québécois, dont l’équipe a identifié en 2019 la plus ancienne peinture rupestre connue, une fresque avec des personnages mi-hommes, mi-animaux découverte sur l’île voisine de Sulawesi et vieille de 44 000 ans.