Estrie: Un projet-pilote qui met en danger les patients en radiologie dénoncé
Mélissa Fauteux | TVA Nouvelles
Un projet-pilote informatique implanté au CIUSSS de l'Estrie-CHUS est à l'origine de nombreuses erreurs qui compromettent la santé de centaines de patients de l'Estrie depuis deux ans.
Dans une lettre envoyée au Collège des médecins du Québec (CMQ) le 17 mars dernier et dont TVA Nouvelles a obtenu copie, une dizaine de radiologues demandent au CMQ «un soutien déontologique qui pourrait aider à dénouer les enjeux d'une pratique informationnelle dangereuse au CIUSSS-CHUS».
Il s’agit d’une ultime étape avant le dépôt d'une plainte formelle contre le CIUSSS.
Un projet pilote qui se voulait avantageux
Le tout découle d'un projet pilote développé par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) appelé «Centres de répartition des demandes de services en imagerie médicale (CRDSi)».
Ce projet a été pensé dans le but d'informatiser, d'harmoniser et de centraliser les demandes de services en imagerie médicale à l'intérieur d'un même établissement de santé, afin de remplacer la paperasse et les fax.
C'est dans cette optique qu'au printemps 2020, en pleine pandémie de COVID-19, le CIUSSS de l'Estrie-CHUS a accepté d'intégrer le projet pilote.
Quelques mois plus tard, en septembre, les médecins omnipraticiens et spécialistes du CIUSSS ont commencé à acheminer électroniquement les requêtes d'examens de résonnance magnétique, de tomodensitométrie, d'échographie générale et d'échographie mammaire via le formulaire standardisé et développé par le MSSS.
C'est là que les problèmes ont commencé selon des radiologues à qui TVA Nouvelles a parlé et qui désirent garder l'anonymat par peur de représailles.
Des patients trop irradiés à cause d'un formulaire
D'abord, ces requêtes doivent être transmises électroniquement au dossier clinique informatisé (DCI) ARIANE, un système DOS privilégié par le CIUSSS depuis des dizaines d'années, qui est qualifié de désuet par la plupart des employés à qui nous avons parlé.
Ils expliquent la difficulté qu'ils ont à bien comprendre ce que cherche le médecin qui envoie la requête, puisque les choix préprogrammés dans le formulaire ne sont souvent pas les bons ou sont carrément incomplets.
Également, comme des cases doivent être cochées pour que le document puisse être acheminé, ça engendre des erreurs et ça fait en sorte que des informations cliniques essentielles au bon diagnostic sont perdues.
Pourtant, quand un médecin prescrit un examen en imagerie médicale, c'est qu'il cherche à confirmer un diagnostic. Il doit donc être le plus précis possible s'il veut que le radiologue qui l'interprète le confirme ou l'infirme. Le formulaire devient donc un outil de communication essentiel.
«Il y a des centaines de patients qui ont reçu beaucoup plus de radiations qu'ils n'auraient dû en recevoir. Tout ça à cause de fausses indications incluses dans des cases qu'était obligé de cocher le médecin s'il voulait envoyer sa requête», a soutenu un radiologue.
Exaspéré par ces problèmes, un radiologue a sonné l'alarme quatre mois après l'implantation du projet pilote.
Dans un courriel envoyé au chef de la radiologie et dont nous avons obtenu copie, il demande que le projet soit interrompu, le temps de s'assurer que les bons renseignements puissent être inscrits dans le formulaire.
«Ce matin seulement, je me suis retrouvé à interpréter deux cas de la maison, sans renseignement clinique dans le système d'archivage et de transmission des images (PACS). Un de ces deux cas a été mal codifié [...]. Le patient devra revenir pour une nouvelle IRM sur l'appareil 3T. L'autre (patient) n'a pas de renseignement dans le PACS. Et selon moi, ce n'est que le début.»
Alors que la liste d'attente pour passer un examen d'imagerie médicale est bien remplie, difficile de dire combien de patients ont dû reprendre leur examen depuis le début du projet pilote.
Le PDG et le CA du CIUSSS interpellés
Malgré les nombreuses plaintes des radiologues et leurs demandes répétées de mettre fin au projet-pilote, la direction du CIUSSS et le MSSS ont décidé de le poursuivre.
Une autre erreur est survenue avec comme victime cette fois, un adolescent. La région du corps qui devait être examinée par le radiologue n'était pas la bonne, parce qu'aucune case n'était prévue pour cet examen dans ledit formulaire.
Le jeune patient a dû reprendre l'examen, ce qui a entraîné un délai de traitement de 10 jours alors que sa condition nécessitait qu'il soit traité en moins de 24 heures. Il vit aujourd'hui avec un risque élevé de complications à moyen et long terme.
Après cet événement, en mai dernier, les radiologues du service de radiologie du CHUS et du CSSS Memphrémagog ont réitéré leurs inquiétudes dans une lettre adressée au président-directeur général du CIUSSS, Stéphane Tremblay, et au conseil d'administration de l'établissement.
Ils ont reçu un accusé de réception en guise de réponse.
De son côté, le CIUSSS-CHUS se défend en faisant valoir que le projet pilote à aussi ses avantages.
La directrice des soins professionnels, la Dre Colette Bellavance, a affirmé que plusieurs améliorations ont été apportées au projet pour le sécuriser et que les bénéfices de ce projet pilote sont plus grands que les risques.
«La perception des risques n'est pas uniforme, si je peux nommer ça ainsi. Je comprends tout à fait que les radiologues demeurent avec des préoccupations, donc ils ont souhaité les porter à l'attention du Collège des médecins», a-t-elle exprimé.
La Dre Bellavance a aussi dit ne pas être surprise par les informations partagées par les radiologues.
«Ça correspond à la lecture qu'ils nous ont partagée depuis plus d'un an et avec lesquels on a travaillé pour améliorer les éléments depuis», a-t-elle reconnu.