Un prédateur sexuel faisait du bénévolat à côté d'une garderie
Michel Déry, qui est sous l’autorité de l’Institut Pinel, faisait des travaux près d’une garderie et d’un camp de jour à Montréal, à la demande de l'organisme Equijustice
Félix Séguin, Ian Gemme et Kathryne Lamontagne
Les autorités ont été incapables d'éviter qu’un dangereux prédateur sexuel, qui a notamment tué une fillette de six ans dans les années 1980, se retrouve à plusieurs reprises à proximité d’enfants au cours de la dernière année.
Le pédophile Michel Déry, 65 ans, effectuait jusqu’à tout récemment du bénévolat à la chapelle de la Réparation, située dans l’arrondissement Pointe-aux-Trembles à Montréal.

Or, ce terrain est attenant au Centre de la petite enfance (CPE) La Grosse Maison, qui accueille 160 enfants. Le CPE, de même qu’un camp de jour à proximité, organise aussi plusieurs sorties dans un parc, situé sur les lieux mêmes où a travaillé Michel Déry, a pu constater notre Bureau d’enquête.

Le sexagénaire, qui a un léger retard mental, traîne un passé chargé de plusieurs meurtres et crimes de nature sexuelle. L’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel est responsable de son encadrement depuis le début des années 1980 et l'individu est sous le coup d’une interdiction de se trouver en présence de mineurs, étant donné son lourd passé criminel (voir chronologie ci-dessous).

Rencontré dans les dernières semaines à la chapelle de la Réparation par notre Bureau d’enquête, M. Déry a affirmé qu’il faisait du «bénévolat» à cet endroit, une tâche qui a été ordonnée par le tribunal et gérée par Pinel, a-t-il signifié.

Une intervenante a rapidement mis fin à notre conversation avec M. Déry.
Arrêté dans un parc
Après vérifications, c’est l’organisme Equijustice qui aurait envoyé Michel Déry dans cette chapelle. Selon le frère Anthony, responsable du programme de bénévolat à la chapelle, Déry y travaillait chaque lundi, sous supervision d’un employé de l’endroit, à la suite de récents démêlés judiciaires

En effet, en août 2023, le prédateur récidiviste a été arrêté par le Service de police de la Ville de Montréal alors qu’il assistait à un spectacle dans un parc de la métropole où se trouvaient des jeunes. Il était à ce moment-là, rappelons-le, sous la responsabilité de l’Institut Pinel.
Des accusations de non-respect de conditions ont été déposées contre le pédophile, qui ne peut se trouver ni en présence de mineurs ni dans un parc.
Le dossier a été reléguée au Programme de mesures de rechange général pour adultes (PMRG) du ministère de la Justice, qui permet de régler le dossier autrement que par la voie d’un procès devant le tribunal.
Dans le cadre de ce programme, le délinquant doit reconnaitre sa responsabilité, après quoi il peut généralement être invité à accomplir des services dans la collectivité. L'organisme Équijustice a déterminé la mesure de rechange adéquate et a accompagné le délinquant, selon le frère Anthony, qui ignorait le lourd passé judiciaire de Déry.
Équijustice a refusé de répondre à nos questions.
Le 26 juin dernier, le tribunal a rejeté les accusations déposées contre Michel Déry, « à la suite de l’accomplissement des mesures réalisées » par le sexagénaire en affirmant que le dossier était maintenant clos.
Des employés sonnent l'alarme
Des employés de l'Institut Pinel, qui auraient été informés de la présence d’enfants à quelques pas de la chapelle où Déry faisait son bénévolat, ont sonné l’alarme au cours de l’été.
Déry, qui résidait depuis 2020 dans un centre d’hébergement supervisé par Pinel, aurait été ramené à l’institut psychiatrique au cours des derniers jours.
L’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel a refusé de répondre à nos questions en lien avec ces événements, évoquant la confidentialité des dossiers de ses patients.
Par courriel, l’établissement s’est contenté d'affirmer qu’il interviendrait immédiatement, «advenant une augmentation du risque de violence menaçant de façon suffisamment importante la sécurité et l'intégrité d’une ou plusieurs personnes».
Le prédateur multirécidiviste Michel Déry
1983
Il agresse sexuellement, séquestre et tue la petite Mélanie Decamps, à Drummondville. La fillette de six ans a été retrouvée morte, attachée à un arbre, 12 jours après sa disparition.

Déry, qui avait 24 ans à l’époque, est acquitté pour cause d’«aliénation mentale» (un vocabulaire juridique utilisé à l’époque, qui n’existe plus aujourd’hui). Ce verdict entraîne sa prise en charge par la Commission d’examen des troubles mentaux, qui ordonne, à la fin des années 1980, que le prédateur soit détenu à l’Institut Pinel.
2001
Sous la responsabilité de Pinel depuis 17 ans, Déry s’évade au cours d'une visite extérieure dans le cadre d'un programme de réinsertion sociale. Il est retrouvé par les policiers en Montérégie, dans un parc, à proximité d’enfants.
«Il était alors excité. Il ne présentait aucune autocritique en lien avec cet événement ni avec une dangerosité́ possible. À la surprise de l’équipe traitante, il s’est avéré que cette fugue avait été planifiée par l’accusé», peut-on lire dans une décision de la Commission d’examen des troubles mentaux, qui est revenue sur cet événement, en juillet 2013.
2015
Déry avoue à son équipe traitante, à Pinel, avoir enlevé, violé et laissé pour morte une autre fillette, âgée de 4 ans et demi, en 1972. Son corps n’a jamais été retrouvé et Déry n’a pas été accusé à la suite de cette confession. Dans sa décision de janvier, la Commission indique que Déry demeure à risque en raison notamment de ses «comportements déviants», de sa dangerosité et d’une «recherche d’attention et d'affection qui le porte à fantasmer».
2016
La Commission d’examen des troubles mentaux estime que Déry «pourrait présenter un risque modéré de récidive à caractère sexuel, le tout dépendant essentiellement [...] de la possibilité ou non qu'il aurait d'être seul en présence de victimes potentielles», déclare-t-elle dans une décision.
2020
Déry quitte sous modalités l’institut Pinel, 37 ans après y avoir mis les pieds. Déry réalise toujours «des progrès» et le risque que représente sa remise en liberté conditionnelle est «assumable pour la société», peut-on lire dans une décision de la Commission d’examen des troubles mentaux. Déry intègre un centre d'hébergement supervisé par Pinel et ne doit pas se trouver en présence d’enfants.
2022
Déry plaide coupable à des accusations de viol, d’enlèvement, de grossière indécence et de séquestration pour des faits survenus en Mauricie et dans le Centre-du-Québec, entre 1977 et 1983. La structure de gestion des enquêtes sur les crimes en série de la Sûreté du Québec avait arrêté Michel Déry pour ces crimes, deux ans auparavant.
Le prédateur conserve sa liberté conditionnelle. La Commission d’examen des troubles mentaux souligne que l’accusé a «connu une évolution favorable», mais qu’il «présente encore des difficultés d’adaptation et dans la gestion de ses émotions».
2023
Dans sa plus récente décision rendue publique, la Commission d’examen des troubles mentaux considère que Déry «n'entretiendrait plus d’idée de violence ni d’idée sexuelle à l’égard des fillettes», ni de «désir sexuel envers les enfants». Cependant, elle conclut qu’il «représente un risque important pour la sécurité du public en raison de son état mental», ce pourquoi elle lui interdit toujours de se trouver en présence de mineurs, notamment.