Un pape en mission essentielle, mais incomplète

Josée Legault
En 1984, le voyage de Jean-Paul II au Canada fut digne d’une tournée de rock star. Les foules accouraient. La couverture médiatique était massive.
En 2022, le pèlerinage pénitentiel du pape François est aux antipodes.
Il est plus dramatique. Moins spectaculaire. Plus signifiant. Les foules, par conséquent, sont plus clairsemées.
Les voyages papaux comportent toujours leur lot de relations publiques et de prosélytisme intéressé. Celui-ci, beaucoup moins. La raison est l’objet même du voyage.
Le pape François cherche à engager son Église sur la voie d’une certaine lucidité quant au rôle révoltant qu’elle a longtemps joué dans sa « gestion » des pensionnats pour enfants autochtones.
De 1836 à 1996, ces lieux maudits furent des machines infernales à déshumaniser plus de 150 000 enfants des Premières Nations. Ils ont brisé leurs liens familiaux et interdit leurs cultures et leurs langues.
Filles et garçons ont été battus. Affamés. Violés. Pour plusieurs, jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Ces pensionnats étaient financés par le fédéral dans le cadre d’une politique raciste aux intentions génocidaires.
Ils étaient aussi approuvés par les gouvernements provinciaux et donnés en « sous-traitance » aux clergés de religions chrétiennes, dont une majorité de prêtres catholiques.
Dernier à s’excuser
Dernier à offrir ses excuses dans cette longue liste de complices, le pape François est venu demander pardon aux nations autochtones. Sa demande appelle nécessairement une réponse, négative ou positive.
Considérant l’ampleur inimaginable des traumatismes causés à tous ces enfants, survivants et descendants, la réponse dépendra de chacun et chacune d’entre eux. Le pardon n’étant jamais une voie obligée.
Face au Vatican, pour les Premières Nations, c’est néanmoins un premier pas, qu’elles attendaient depuis longtemps. Pour le pape, c’est le début d’une réconciliation possible.
Pour qu’elle se réalise dans les prochaines années, sa demande de pardon commandera toutefois des gestes concrets de réparation. Non seulement de lui, mais du Vatican comme institution.
Systémique
Pour ce faire, le pape François devra cependant faire preuve d’une lucidité complète.
Car, jusqu’à hier soir, il se refusait encore à reconnaître deux éléments pourtant cruciaux dans l’horreur des pensionnats.
De un, les multiples agressions sexuelles subies par des enfants autochtones aux mains des prêtres. Or, hier soir, coup de théâtre. Enfin, pour la première fois, le pape a parlé des « abus sexuels commis contre des mineurs et personnes vulnérables ».
Comme quoi, les nombreuses critiques sur son silence, entendues au sein des Premières Nations, sont parvenues jusqu’à lui.
L’élément manquant restant est la reconnaissance de la responsabilité ultime de l’Église catholique en tant qu’institution de pouvoir.
Le pape a plutôt choisi de se limiter à pointer celle de « nombreux chrétiens pour le mal commis contre les peuples autochtones ».
Des gouvernements jusqu’aux exécutants en soutane du Vatican, ce « mal » fut pourtant de nature institutionnelle et systémique.
L’étendue des dommages persistants infligés aux Premières Nations en fait foi.
Sans la reconnaissance entière du réel, le chemin vers la réconciliation ouvert par le pape François s’annonce difficile.
Sa mention faite in extremis des abus sexuels pourrait cependant faciliter la suite des choses.
La reconnaissance complète des sévices imposés aux Premières Nations sous le joug complice de l’Église catholique s’annonce essentielle à toute réconciliation.