Un nouveau traitement pour la cachexie cancéreuse, une percée importante en oncologie


Richard Béliveau
Une forte proportion des patients cancéreux sont atteints de cachexie, une maladie caractérisée par une perte d’appétit qui entraîne une perte de poids importante et une atrophie des muscles. Une étude clinique récente suggère qu’un anticorps dirigé contre une des protéines responsables de cette perte d’appétit pourrait améliorer considérablement la condition de ces patients.
Hippocrate, le père de la médecine (460 à 370 av. J.-C.), avait déjà décrit la cachexie comme une maladie dans laquelle «la chair est consommée et devient de l’eau, [...] l’abdomen se remplit d’eau, les pieds et les jambes gonflent, et les épaules, les clavicules, la poitrine et les cuisses fondent».
Près de 2500 ans plus tard, nous avons fait des progrès considérables dans le traitement du cancer, mais il n’y a toujours aucune thérapie disponible pour traiter ces pertes de poids sévères et l’atrophie des muscles qui touchent une forte proportion des patients cancéreux.
Cette absence de moyens concrets d’enrayer la cachexie a des conséquences dévastatrices, car la grande faiblesse causée par cette condition est associée à une perte dramatique de la qualité de vie, autant du point de vue du patient que de ses proches, et est responsable d’environ 20% des décès liés au cancer.
Perte d’appétit
Deux grands phénomènes contribuent au développement de la cachexie cancéreuse:
1) la production de molécules inflammatoires par les tumeurs stimule de façon anormale le catabolisme (la dégradation des composés organiques) et mène donc à une diminution de la masse adipeuse et musculaire;
2) les patients atteints d’un cancer et/ou qui sont traités par certaines formes de chimiothérapie (les sels de platine, notamment) peuvent développer une perte d’appétit marquée, des nausées ou des vomissements qui diminuent drastiquement l’apport calorique nécessaire pour maintenir le poids corporel.
Cette carence en nutriments est malheureusement fréquente: environ un quart des patients atteints d’un cancer avancé consomment moins de 13 kcal par kilo par jour, alors que la dépense énergétique totale moyenne se situe aux environs de 30 kcal par kilo par jour. Il va de soi que ce bilan énergétique négatif contribue fortement à la cachexie et à l’affaiblissement du patient.
Circuit coupe-faim
Le tronc cérébral, la structure qui forme un pont entre le cerveau et la moelle épinière, joue un rôle prédominant dans les réactions instinctives de rejet de nourriture, que ce soit en raison d’un problème physiologique (distension excessive de l’intestin), de la présence d’un composé toxique (souvent associée à une forte amertume) ou encore d’une aversion envers un aliment provenant d’une expérience négative (une indigestion causée par des huîtres contaminées, par exemple).
La recherche des dernières années a montré qu’une molécule sécrétée par plusieurs types de cancers, le growth differentiation factor 15 (GDF-15), joue un rôle central dans la perte d’appétit en interagissant avec un récepteur spécifique (GRFAL) présent au niveau du tronc cérébral.
Par exemple, des études réalisées ont montré que des taux sanguins élevés de GDF-15 chez les patients atteints d’un cancer sont associés à une perte importante de poids, une atrophie musculaire et une diminution de la survie. Le développement d’un anticorps capable de neutraliser la liaison de GDF-15 à son récepteur permet de prévenir l’apparition de la cachexie chez les modèles animaux et pourrait donc représenter une avancée majeure pour le traitement de la cachexie chez les patients touchés par le cancer.
Rétablir l’appétit
L’impact de cet anticorps, le ponsegromab, a été récemment évalué dans une étude clinique de Phase II, réalisée auprès de 187 patients qui recevaient une chimiothérapie palliative pour traiter des formes avancées de cancers du poumon, du pancréas ou du côlon(1).
Comparativement au placebo, le traitement par le ponsegromab a entraîné une augmentation significative du poids corporel à 12 semaines, qui a atteint 2,81 kg pour la dose la plus élevée de l’anticorps (400 mg toutes les 3 semaines).
Les patients ayant reçu l’anticorps ont également présenté une réduction des symptômes de cachexie et une amélioration de l’appétit, de l’activité physique globale et de la masse musculaire squelettique. De plus, toutes les doses de ponsegromab testées ont été bien tolérées et présentaient un profil d’effets secondaires similaire à celui du placebo.
Ces résultats soulignent donc le potentiel du ponsegromab comme traitement ciblé de la cachexie cancéreuse. Ceci est important, car cette condition touche de façon disproportionnée des patients atteints d’un cancer incurable pour qui l’amélioration de leur bien-être général et de leur qualité de vie est aussi (sinon plus) importante que celle de leur durée de vie. C’est un important progrès scientifique.
(1)Groarke JD et coll. Ponsegromab for the treatment of cancer cachexia. N. Engl. J. Med. 2024; 391: 2291-2303.