Un jeune médecin spécialiste qui a vécu deux épuisements professionnels encourage ses collègues à aller chercher de l’aide
L’interniste anime un balado sur la culture du silence entourant la détresse psychologique


Héloïse Archambault
Un jeune médecin de la Montérégie qui a déjà vécu deux épuisements professionnels s’attaque au tabou de la souffrance psychologique des soignants en déboulonnant la honte et les préjugés qui les freinent à aller chercher de l’aide via un balado.
Culture du «sacrifice», jugements entre collègues, mythe de l’invulnérabilité: ces obstacles bloquent encore les médecins dans leurs démarches pour demander de l’aide psychologique.
«On vit ça en pensant qu’on est les seuls. Tout le monde a l’air de réussir, de l’avoir facile, souligne le Dr Steven Palanchuck, interniste à l’hôpital de Saint-Jean-sur-Richelieu. Les médecins sont en compétition avant d’être médecins. On n’apprend pas à lâcher le couteau entre les dents.»
Âgé de 35 ans, le spécialiste aborde ce tabou en toute transparence. Chef des soins intensifs de son hôpital, il a déjà lui-même eu deux arrêts de travail pour épuisement et a consulté pour un problème de dépendance.
• Regardez aussi ce podcast vidéo tiré de l'émission d’Isabelle Maréchal, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
Frapper un mur
«J’ai frappé mon mur quand je n’étais plus capable d’être médecin. J’ai tellement fait de sacrifices pour me rendre là. Je me suis retrouvé devant un grand vide. Si je ne suis pas médecin, je suis quoi?»
Fait rare, ce docteur qui travaille parfois jusqu’à 80 heures par semaine n’a pas peur d’exposer sa vulnérabilité.
«Je n’ai rien à cacher, jure-t-il. S’il y avait eu des représailles, ça m’aurait donné des munitions pour dénoncer l’hypocrisie. Plus on en parle, plus on se rend compte que les autres osent aussi en parler.»
L’an dernier, 4,3% des docteurs du Québec ont fait une demande au Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ). Même si les consultations ont augmenté de 20% depuis quatre ans, ces données sous-estiment grandement la détresse, estime le Dr Palanchuck.
Médecins qui demandent de l’aide
- 2023-2024: 2255
- 2022-2023: 2408
- 2021-2022: 2260
- 2020-2021: 2062
- 2019-2020: 1877
Source: PAMQ
En 2023, deux médecins de l’hôpital de Saint-Jean-sur-Richelieu ont mis fin à leurs jours.
«La vie a continué et on n’en a pas parlé. Il y avait un gros malaise. Je ne pense pas que c’était de la malveillance. Les gens ne savaient pas comment en parler», se rappelle-t-il.
Pour le Dr Palanchuck, ce «malaise» a été le point de départ d’une réflexion plus large. En janvier dernier, il a lancé le balado Soigner jusqu’à se briser.
Un balado qui inspire
Une dizaine d’invités (psychologues, médecins, chercheurs) ont abordé différents thèmes en lien avec la santé mentale. Depuis, le Dr Palanchuck reçoit chaque semaine des témoignages de soignants et du public.
«Ce qui me touche, c’est quand les gens réalisent qu’ils ont plus de pouvoir qu’ils pensent. Si on veut avoir des résultats différents, il faut faire des choses différemment», soutient l’homme originaire de Rivière-du-Loup.
Par ailleurs, il déplore que le réseau glorifie le don de soi des soignants jusqu’à l’infini.
«Le système bénéficie du fait que les médecins sont dans l’abandon de soi, la vocation. C’est ce qui fait rouler le système.»
En ouvrant la discussion, le médecin espère que les choses changent.
«Taire une réalité ne va pas la faire disparaître. On est capables de réorganiser nos manières de travailler pour que les médecins sortent de l’isolement.»