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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

Un héros de Mandela humilié: le Canada trahit ses valeurs

Photo d'archives Adobe Stock
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Photo portrait de Maka Kotto

Maka Kotto

2025-06-09T04:00:00Z
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Il est des lettres qui transpercent. Celle de Lucie Pagé, adressée au premier ministre Marc Carney et publiée dans Facebook, bouleverse. Elle ne demande pas une faveur: elle expose une blessure. Elle accuse sans haine, mais avec la force tranquille d’une femme dont la famille est sacrifiée sur l’autel de l’absurde.

Lucie est canadienne. Journaliste engagée depuis des décennies pour les droits de la personne. Son mari, Jay Naidoo, ancien bras droit de Nelson Mandela, est aujourd’hui traité par le Canada comme une menace.

Pourtant, il est mondialement reconnu comme une figure de paix et de justice.

Pourquoi lui refuser un visa? Parce qu’il est africain? Parce qu’il ne rentre pas dans les cases d’un système migratoire où la suspicion tient lieu de preuve? C’est plus qu’un affront personnel: c’est un reniement silencieux.

Une fracture morale, pas un simple cas administratif

On parle ici d’un visa, mais il faut parler de dignité. Ce petit-fils, privé de son été québécois avec sa famille. Cette fille, empêchée de revoir sa grand-mère de 88 ans. Ce mari, accusé sans fondement de fraude et de dangerosité. Un Canada qui persiste à se draper dans son image d’eldorado des droits de la personne.

La lettre de refus évoque un téléchargement mal complété. Une biométrie réalisée à Delhi. Une «irrégularité». Et tout à coup, l’État transforme l’oubli d’un clic en tentative de tromperie, le doute en verdict, l’exception en jurisprudence cruelle. Le soupçon l’emporte sur la présomption d’honnêteté.

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Ce qui se joue ici dépasse le droit de séjour. C’est une politique de suspicion qui fracture des familles, nourrit le soupçon systémique et banalise l’injustice. Ce n’est pas une erreur administrative: c’est une faillite morale, à visage institutionnel.

Jay Naidoo, ou l’échec du regard canadien

Jay Naidoo n’a jamais semé la peur. Il l’a désarmée. Par les mots, par le courage, par la paix. En Afrique du Sud, il calmait des foules prêtes à s’entretuer. À l’international, il portait la voix des sans-voix avec dignité. En France, il est chevalier de la Légion d’honneur. Au Canada, il est suspect.

Aujourd’hui, le Canada refuse de voir. Refuse de reconnaître ce qu’il a longtemps célébré. Ce qu’il prétend défendre: les droits de la personne, la lutte contre les discriminations, l’héritage de Mandela. Et en refusant l’entrée à Jay Naidoo, c’est sa propre conscience qu’il met à la porte.

Monsieur Carney, vous êtes peut-être nouveau à la tête du gouvernement, mais cette décision est ancienne dans ses causes et urgente dans ses effets. Il ne s’agit plus ici d’un simple visa. Il s’agit de dignité, de cohérence, de justice.

Si le Canada veut rester fidèle à ses valeurs, il doit réparer cette faute. Vite. Car l’humanité ne devrait jamais être conditionnelle.

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