Un haut fonctionnaire de la Ville de Montréal endetté jusqu’au cou est visé par une enquête pour des dépenses douteuses de fonds publics
Suspendu avec solde depuis le 6 octobre, le président de la Commission des services électriques de Montréal vient de démissionner.

Dominique Cambron-Goulet et Annabelle Blais
Recruté en 2022 alors qu’il était criblé de dettes, un haut fonctionnaire de la Ville de Montréal est visé par une enquête sur des dépenses douteuses de fonds publics, a appris notre Bureau d’enquête.
Le président de la Commission des services électriques de Montréal (CSEM), Sidiky Zerbo était suspendu avec salaire depuis le 6 octobre, mais vient de remettre sa démission.
Une enquête avait été entamée le 24 avril dernier concernant des « allégations [qu’il] contrevenait à des encadrements administratifs de la Ville de Montréal ».
Selon ce qu’a appris notre Bureau d’enquête, les dépenses de fonctions du président sont notamment scrutées par le contrôleur général.
Depuis quelques jours nous tentions de joindre M. Zerbo à ce sujet, en vain.
La Presse avait déjà révélé cet automne qu’il s’était placé en situation de conflit d’intérêts, en essayant de favoriser son ancien employeur, Charbone Hydrogène Corporation. On comprend donc que cette situation n’était que la pointe de l’iceberg.
- Écoutez la discussion d’Alexandre Dubé avec la journaliste Annabelle Blais via QUB :
Essence en plus
Tant la Ville que la CSEM refusent de nous fournir les allocations de dépenses de M. Zerbo, en raison de l’enquête en cours.
Nous avons tout de même pu mettre la main sur les relevés de cartes de crédit de la CSEM grâce à la loi d’accès à l’information auprès de la Ville de Montréal.
Ils font état, notamment, d’achats d’essence inusités totalisant plus de 1500$, entre novembre 2022 et avril 2023 sur une seule carte de crédit activée quelques semaines après l’entrée en poste du président de la Commission.
La majorité des transactions a été faite dans des stations-service situées près de la résidence de Sid Zerbo, à Laval.
Ce dernier bénéficiait d’une allocation de voiture, ce qui est incompatible avec des remboursements d’essence dans les règles de la Ville.
Les achats ont cessé le 23 avril dernier et le lendemain, M. Zerbo était informé que le contrôleur général entamait une enquête.
La Ville de Montréal a refusé de commenter les transactions faites sur cette carte de crédit, prétextant l’enquête en cours.
Il croule sous les dettes
Sidiky Zerbo éprouve de graves problèmes financiers depuis quelques années qui ont culminé en octobre 2023, alors que la Banque Nationale a avisé la Ville qu’elle allait saisir près du tiers de son salaire.
Pour diriger la CSEM, organisme responsable de la gestion des conduits souterrains pour les réseaux filaires d’Hydro-Québec ou des fournisseurs de téléphonie et d’internet par exemple, il recevait un salaire annuel de 152 476$.
M. Zerbo devait rembourser une dette de crédit de plus de 130 000$ contractée auprès de l’institution financière.
- Écoutez le segment judiciaire avec Félix Séguin via QUB :
Incapable de payer
Des documents déposés en cour par la Banque Nationale indiquent que depuis l’automne 2021, Sid Zerbo payait à peine quelques dizaines de dollars par mois sur sa carte de crédit, dont le solde s’élevait à plus de 22 000$.
Deux marges de crédit de plus de 50 000$ dont il bénéficiait étaient également saturées. Le total de sa dette envers la banque s’élevait à 134 000$ en octobre.
La banque a essayé de se faire rembourser pendant plusieurs mois en 2022, avant de se tourner vers les tribunaux. Le 9 mai 2023, un jugement de la Cour supérieure l’a condamné à payer ses dettes.
Mais les huissiers ont été incapables de le trouver, si bien qu’il a fallu lui signifier l’avis d’exécution directement dans les bureaux de la CSEM le 5 octobre dernier. Le lendemain, il était suspendu.
M. Zerbo a tenté de s’opposer au jugement et à la saisie, mais s’est finalement désisté en décembre.
Malgré sa situation financière désastreuse, Québec l’a nommé haut fonctionnaire
Quand Sidiky Zerbo a été nommé à la tête d’un organisme disposant d’un budget de plus de 90 M$ par le Conseil des ministres, en juillet 2022, il faisait déjà l’objet de plusieurs avis et poursuites publics en lien avec ses ennuis financiers.
Outre ses ennuis avec la Banque Nationale, M. Zerbo devait 3,9 millions à un prêteur privé, comme le révélait La Presse en octobre dernier.
Il avait contracté ce prêt afin de payer un autre créancier auprès de qui il était déjà en défaut de paiement. Les procédures devant les tribunaux ont été entamées par le prêteur dès janvier 2022, soit six mois avant sa nomination.
En avril 2023, la Cour a ordonné la saisie de six de ses propriétés, dont l’une qui abrite une SQDC, sur la rue Masson à Montréal. Il y a même perdu sa résidence personnelle évaluée à près de 630 000$.
Le président de la CSEM est nommé par le secrétariat aux emplois supérieurs, qui relève du gouvernement du Québec, même s’il est payé par la Ville de Montréal.
Le ministère du Conseil exécutif refuse de dire ce qu’il savait de la situation précaire de M. Zerbo au moment de le nommer, mais assure avoir fait les vérifications d’usage.
Selon nos informations, Québec a déjà vérifié la situation financière d’anciens candidats au poste de président de la CSEM.
Le professeur associé à l’École nationale d’administration publique (ENAP), Jacques Bourgault, assure que le secrétariat des emplois supérieurs peut «certainement» faire des vérifications financières avant de faire une nomination.
«Ce sont des postes de confiance, rappelle-t-il. On a sûrement dû le questionner sur sa déchéance financière. On n’a pas pu juste mettre ça sous le tapis en se pinçant le nez.»
Selon le professeur, il se peut que les problèmes financiers de M. Zerbo n’aient pas été jugés pertinents, puisque ce qui est regardé est la «connexité» entre le poste et les antécédents.
«Quelqu’un qui a des problèmes financiers et qui a mal géré, on ne le mettra pas à l’Autorité des marchés financiers», illustre-t-il.
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