Un fil d’arrivée complexifié
Le retour à la maison s’annonce ardu


François-David Rouleau
PÉKIN | Si l’on pensait qu’on en avait bavé et fini avec les interminables formulaires et procédures pour entrer en Chine en prévision de ces Jeux, c’est qu’on n’était pas encore tombé sur le protocole de sortie une fois la cérémonie terminée, dimanche soir.
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Après trois semaines dans la bulle olympique à tenter de respecter tant que bien que mal les règles, on voyait le fil d’arrivée.
On était loin de se douter que la rigidité et la lourdeur des procédures chinoises nous suivraient jusqu’à ce que l’avion s’envole, lundi matin.
Situation bordélique en vue

La journée suivant les Jeux représente la période la plus achalandée à l’aéroport international. Dans ce contexte sanitaire, il faut imaginer un énorme goulot d’étranglement.
Des milliers de voyageurs grimperont à bord des appareils nolisés par les Comités internationaux et sur les vols spécifiquement créés par plusieurs compagnies aériennes afin d’évacuer tous les visiteurs olympiques. Même si quelque
milliers sont partis au fil des derniers jours, on nous prévoit un immense bouchon.
20 heures pour revenir
Aucune escale en territoire chinois n’est permise, pas plus qu’un vol en direction des grands aéroports du pays afin de sauter sur une correspondance vers le Canada ou n’importe quel autre paradis du Pacifique Sud.
L’unique porte de sortie vers la maison se trouve dans le terminal de l’aéroport de Pékin.

Didier (Debusschère), Richard (Boutin) et moi percerons enfin la bulle à Tokyo. Ensuite, hop vers la Colombie-Britannique et le Québec. Vingt belles heures de vol nous attendent, avec une escale de huit heures au Japon. On croise les doigts pour ne pas être retenus dans le même terminal vide de l’aéroport Narita à l’aller.
Toujours est-il que le périple de retour ne s’annonce pas jojo selon le document d’une quarantaine de pages qu’on nous a acheminé et les avis reçus. On a commencé à remplir la paperasse et à calculer les déplacements, hier soir. Rebonjour les codes QR !
Pour un vol à 8 h, on nous demande d’arriver à l’aéroport de la capitale jusqu’à six heures avant le décollage pour procéder aux enregistrements et déposer les bagages dans des délais suffisants. Le document conseillait même d’acheminer les valises à l’avance...
À cela s’ajoute le temps de transport entre les établissements hôteliers et le terminal. À l’arrivée, le trajet avait duré une trentaine de minutes. Au départ, on indique que la « run de lait » peut durer jusqu’à trois heures.
À la mitaine
Au diable l’enregistrement sur le web comme c’est le cas partout sur le globe. Les milliers de passagers vont faire ça à la bonne vieille mitaine. Tout se passera au comptoir à quelques heures du vol, si on est assez prévoyant pour ne pas le rater.
Car pas de passe-droits pour les retardataires qui auraient trop fêté la fin des Jeux en picolant la veille.
Donc, à l’unanimité, on a décidé de quitter notre établissement en fin de soirée et d’aller se planter à l’aéroport. Mieux vaut un peu trop tôt que trop tard. Même si ce fut une superbe aventure, pas question de retarder le retour à la maison avec les miens. Pareil pour Didz et Rick.

On pourra se rappeler les histoires de ces Jeux complexes si on ne parvient pas à fermer l’œil. Et à Tokyo, on retrouvera la liberté en réintégrant la civilisation normale, le masque N95 en moins, après avoir vécu durant près d’un mois sur une planète parallèle.
Pékin Express
Le blocus d’Ottawa jusqu’à Pékin

Surprise en ouvrant la télévision, très rarement allumée durant ces Jeux. La chaîne de nouvelles en continu de la Télévision centrale de Chine (CCTV) a diffusé des images de la situation qui s’est dégradée dans la capitale fédérale canadienne.
Une charmante employée de notre hôtel a bien voulu interpréter l’enregistrement sonore que j’avais capté. Étonnée du récit, elle a résumé la nouvelle en confirmant que des camions étaient remorqués après plusieurs jours de manifestation. « Il y a moins de camions », m’a lancé Joy, interrogative et un brin confuse.
Imaginez, il a fallu que je lui explique un peu ce qui se déroulait au Canada, car le grand firewall chinois filtre toute information de l’extérieur.
Comme des Suisses autour de nous, elle était un peu sonnée d’apprendre que notre capitale avait été prise d’assaut par des centaines de camions depuis trois semaines. Elle était aussi étonnée de voir sur mon portable l’allure d’Ottawa avec des messages haineux et d’entendre les manifestants beugler « Libârté » sur des vidéos que je lui montrais grâce à mon fidèle VPN détournant le mur.
J’ai cherché la traduction du mot pour lui dire en mandarin. Par chance, elle l’a lu sur l’écran, car c’est sorti aussi croche que celui qui le hurle en bedaine sur le coin d’une rue d’Ottawa. Quant aux affiches « F**k you », je n’ai pas eu besoin de les traduire. Elle l’a compris. C’est dans le langage universel.
Mais toute cette mascarade, elle ne connaît pas ça, ici, sous ce régime autoritaire.
Pas de bob
S’il y avait une compétition que j’avais inscrite à mon calendrier, c’était bien celle du bobsleigh à quatre avec les trois équipages canadiens et celle de la Jamaïque. Jeune, adepte fini de traîneau, le populaire film Les Apprentis-champions relatant l’histoire de la première équipe jamaïcaine de bobsleigh ayant évolué aux Jeux de Calgary en 1988 m’avait fasciné. Un concours de circonstances m’a fait rater ce rendez-vous au centre de glisse de Yanqing. Il faut préciser que seule la question du transport décourage tout le monde. Les six heures de déplacement, aller-retour, entre Pékin et la montagne peuvent virer au cauchemar. À mon unique visite, j’ai croisé des Européens complètement exaspérés par le manque de navettes malgré les réservations. Cette semaine, le collègue torontois Cathal Kelly a fait un long tour d’autobus de 11 h, coincé dans les dédales du réseau de transport olympique.
Le bob sera donc pour une autre fois, en Italie. En espérant que les Jamaïcains y participent.
Splendide médaille

Après l’or à la poursuite par équipe, Ivanie Blondin a ajouté l’argent au départ groupé, hier. Une médaille individuelle qu’elle a longtemps attendue. Cette semaine, quand elle s’est assise avec moi pour une entrevue avec sa médaille dorée, elle semblait si paisible à regarder amoureusement sa nouvelle pièce tout en scrutant ses détails.
En la tendant vers moi, j’ai figé. J’avais l’impression qu’elle voulait partager son plaisir.
– « Puis-je ? Est-ce que ça porte malheur », l’ai-je questionnée en souhaitant toucher la pièce.
– « Ben non, vas-y, tu peux toucher », m’a-t-elle gentiment répondu, en riant.
Elle l’a ensuite déposée dans ma main droite.
J’ai admiré une minute cette pesante et massive médaille sur laquelle sont gravés des motifs hivernaux et chinois. En un instant, j’ai saisi une infime signification de ce qu’elle représente pour la Franco-Ontarienne, qui a mis tant d’années d’efforts, de sacrifices, d’énergie pour la gagner. Seule Ivanie en connaît toute l’histoire.