Un échec minier nommé Stornoway Diamonds
Québec et la Caisse avaient investi des centaines de millions dans cette course au diamant


Martin Jolicoeur
La fin de la mine Renard, de Stornoway Diamonds, et de son rêve un peu fou de créer une toute nouvelle filière du diamant dans le Nord-du-Québec, risquent fort de se traduire à terme par la perte de centaines de millions de dollars de fonds publics – au bas mot 700 M$ – pour l’État québécois.
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Après moins de dix ans d’exploitation, l’entreprise en difficulté, dont Québec et la Caisse de dépôt sont devenus des actionnaires importants au fil du temps, s’est placée à l’abri des poursuites de ses créanciers l’automne dernier, avec des dettes évaluées à 275 M$.
C’est la deuxième fois en quatre ans que l’entreprise se trouve dans cette posture. Et devant le désintérêt confirmé du repreneur australien envers une éventuelle relance de la mine, tout indique que ce nouveau passage à vide, sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), marquera la fin définitive de cette course au diamant du Québec.

Le président et chef de la direction de la minière, Patrick Sévigny a décliné notre demande d’entrevue, nous renvoyant aux représentants de ses actionnaires. De son côté, témoin impuissante de ce dernier revirement, la PDG de l’Association minière du Québec (AMQ), Josée Méthot, n’a pu que s’en désoler.
«Le Québec est riche en minéraux de toutes sortes. Le diamant en fait partie, explique-t-elle. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais dans le contexte actuel, où les prix souffrent de la montée en popularité du diamant synthétique, on ne voyait apparemment plus la lumière au bout du tunnel.»
Le pari d’IQ et de la Caisse
Le gouvernement du Québec, par l’intermédiaire de son bras financier qu’est Investissement Québec (IQ), est depuis le début de l’aventure l’un des plus grands partenaires financiers de Stornoway. Il possède aujourd’hui 35% de son actionnariat, à égalité avec la minière Redevances Aurifères Osisko.
Entre 2011 et 2019, Investissement Québec a pris une participation de 110 M$ dans l’entreprise, en plus de lui octroyer 130 M$ sous forme de prêts. Deux autres prêts (de 19 M$, puis de 33 M$) lui ont été accordés depuis, pour une contribution totale de 292 M$, dont 182 M$ de prêts, jusqu’ici non remboursés pour l’essentiel.

De son côté, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) a aussi beaucoup épaulé l’entreprise minière, depuis son investissement initial de 105 M$ en 2014. En 2016, la valeur des actions et obligations que CDPQ détenait dans Stornoway a atteint un record de 139 M$.
Depuis, et malgré l’injection périodique de fonds supplémentaires, la valeur de ses investissements (inférieurs à 200 M$, nous assure-t-on) n’a jamais cessé de dégringoler. Dans son dernier rapport annuel, la gestionnaire du fonds de pension des Québécois évalue désormais sa participation dans Stornoway à... moins de 5 M$.
Une route à 400 M$
Le Fonds de solidarité FTQ affirme quant à lui avoir investi 35 M$ d’actions dans le capital de la minière, entre 2014 et 2019.

Mais après avoir tout perdu lors de sa première restructuration de 2019, le Fonds FTQ s’est distancié de Stornoway et n’a jamais réinvesti dans l’entreprise, soutient son conseiller Patrick McQuilken.
Enfin, à ces engagements publics s’ajoute le prolongement de la route 167 (sur 240 kilomètres vers le nord!) qu’avait promis le gouvernement du Québec à la minière dès le départ, dans l’euphorie du lancement du Plan Nord.
Les travaux d’envergure, qui se seront prolongés sur presque deux ans, pour relier le village de Mistissini à la mine Renard, auront finalement dépassé les prévisions de presque 20% et coûté 400 M$, dont plus de 80% payés par le gouvernement du Québec.
Tout ça pour ça
Il y a deux semaines, la Cour du Québec a approuvé l’entente d’«option d’achat exclusive» signée par Stornoway et la société australienne Winsome Resources, en vue de l’acquisition au choix de la mine, de ses infrastructures ou de l’ensemble des actifs de la société laissés sur place.

En plus des équipements mécaniques (concasseurs, broyeurs, etc.), Winsome se montre séduit par l’ensemble des installations encore presque neuves, dont des ateliers, entrepôts et bureaux, un camp capable d’héberger 330 travailleurs à la fois, une usine de traitement des eaux, et un aéroport muni d’une piste de 1,5 km de long.
Winsome dispose de six mois pour prendre une décision. Si elle choisit d’aller de l’avant, le tout lui sera cédé pour un maigre 52 M$, une fraction évidemment des sommes avancées par Québec dans cette aventure. Mais quoi qu’il advienne, avant et après cette date, a confirmé la direction de Winsome au Journal, aucune relance de la mine de diamant n’est envisagée. Tout ça pour ça?
Le projet Renard en bref
Taille du gisement: 18 millions de carats
Type d’exploitation: mine à ciel ouvert et souterraine
Réserves minérales: 22,3 millions de carats
Production annuelle: 1,8 million de carats (pour les 10 premières années d’exploitation)
Emplois: de 400 à 550 emplois
Fin de l’exploitation prévue: 2034
Répartition de la propriété de Stornoway*
-Investissement Québec 35%
-Caisse de dépôt et placement du Québec 16,9%
-Redevances Aurifères Osisko 35,1%
-Triple Flag, de Toronto 13%
*À partir de sa restructuration financière 2019, en vertu de la LACC
Historique – Timeline:
Février 2012: Lancement des travaux de construction de la route 167
Septembre 2013: Ouverture de la route à la circulation de chantier
Juillet 2014: Début de la construction de la mine; financement de 946 M$
Juillet 2016: Début de l’exploitation; première extraction de minerais
Octobre 2016: Inauguration de la mine Renard, en présence du premier ministre Philippe Couillard
Septembre 2019: Stornoway se place à l’abri de ses créanciers, en recourant à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Après une restructuration, l’entreprise est rachetée par ses créanciers
Septembre 2020: Les activités de la mine Renard redémarrent, avec de nouveaux propriétaires, dont Investissement Québec, la Caisse de dépôt et Osisko.
Octobre 2023: Stornoway suspend ses activités et se place à l’abri de ses créanciers en recourant de nouveau à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). 425 employés sont mis à pied de manière temporaire; 75 conservent leur poste.
Mars 2024: 522 employés de la mine Renard sont mis à pied par Stornoway de façon permanente.
Avril 2024: La Cour du Québec accorde à Winsome Resources, une minière d’Australie, une option d’achat exclusive pour l’achat de l’ensemble du site et des infrastructures de la mine Renard, pour 52 M$, le tout payable en 24 mois.
Septembre 2024: Winsome devra acheter la mine Renard, ou renoncer à le faire, d’ici le 30 septembre prochain. Avant et après cette date, aucune relance de la mine n’est envisagée.
Localisation géographique
La mine Renard est aménagée sur le territoire Eeyou Istchee, à 250 km au nord de Mistissini et à 350 km au nord de Chibougamau.
Un chiffre:
68
Le nombre de repreneurs sollicités par le contrôleur Deloitte pour racheter les restes de la mine Renard.
Un chiffre:
27%
Croissance de la valeur du titre de Winsome Resources à la Bourse d’Australie depuis que cette dernière a annoncé l’obtention d’une option d’achat de la mine Renard, le 3 avril dernier. Son intention est de transformer la mine en centre de traitement (de spodumène) en appui à un autre projet de mine de lithium.
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