Un cadeau surprenant du gouvernement chinois pour la Ville de Brossard
Le consulat de la République populaire de Chine a fait un don à la petite bibliothèque municipale

Sarah-Maude Lefebvre
La Chine a fait un don inusité de livres à la Ville de Brossard, avant de se heurter à un refus lors d’une deuxième tentative au cours de laquelle elle avait contacté directement la mairesse. Un exemple des tactiques d’influence de Pékin en sol québécois, selon des experts en sécurité nationale.
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La mairesse de Brossard Doreen Assaad a été «très surprise» lorsque le consul de la République populaire de Chine a offert de donner des livres à la petite bibliothèque municipale lors d’une rencontre en 2019.
«J’ai reçu la demande comme quoi Brossard était une belle municipalité multiculturelle et que [le consulat] avait un excès de livres disponibles [...] C’était la première fois que je recevais ce genre de demande. Je ne savais pas quoi répondre», nous a raconté la mairesse.
Elle n’a jamais su pourquoi le représentant de cette grande puissance mondiale souhaitait faire un tel don ni la nature exacte des livres offerts, puisque la bibliothèque a refusé l’offre du consulat.
«C’était au moment où la problématique avec Huawei commençait avec l’arrestation de la directrice Meng Wanzhou et [l’emprisonnement en Chine] des deux Michael. On s’est dit: “Bon, on va attendre”. Aussi [les livres en caractères chinois] ne sont pas une priorité de développement pour nos collections», nous a aussi relaté la directrice de la bibliothèque, Suzanne Payette.
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Un deuxième don
Ce n’était pourtant pas la première fois que Brossard, qui a une importante communauté d’origine chinoise, recevait une telle offre. En 2017, sous le précédent maire Paul Leduc, la bibliothèque s’était vu imposer, en quelque sorte, un don de 300 livres du consulat.
Le don avait eu lieu pendant une fête organisée par l’École chinoise de Brossard. «On n’avait pas le choix. C’était devant tout le monde. Alors, tu dis merci beaucoup, pis tu le prends», relate Mme Payette.
Aucun catalogage précis du contenu de ces livres n’a été effectué depuis, faute d’effectifs. Le Journal a pu en examiner quelques-uns lors d’une récente visite.
De récits historiques patriotiques à un ouvrage en l’honneur du Parti communiste en passant des manuels de langue ou des romans: les livres en caractères chinois sont variés dans la petite section qui leur est affectée.
«Propagande»
La bibliothèque n’a reçu aucun autre don provenant de représentants de pays étrangers.
«On parle beaucoup d’ingérence étrangère maintenant, mais ce n’était pas dans l’air du temps quand on a acquis les livres. Aujourd’hui, on ferait plus attention», explique Mme Payette.
Pour des experts en sécurité nationale, la situation, si elle semble anecdotique en apparence, témoigne bien de l’intérêt du gouvernement chinois à demeurer près de ses citoyens d’outremer.
«Ça fait partie d’un plan bien organisé pour être aussi influent que possible. Bien sûr, il y a une différence entre influence et ingérence. Mais il faut voir ça comme un exercice de propagande [...] La communauté chinoise est une grande priorité pour le président Xi Jinping», croit l’ancien ambassadeur du Canada en Chine Guy Saint-Jacques.
«Plusieurs pays cherchent à faire leur promotion. Ce n’est pas limité à la République populaire de Chine», nuance pour sa part Arthur Wilczynski, ancien haut fonctionnaire.
Ce dernier croit toutefois que les livres devraient être identifiés pour que les lecteurs sachent qu’ils ont été offerts par un «acteur étatique qui a des intérêts qui s’enlignent rarement avec ceux des Canadiens».
«Est-ce que ça pourrait être un don désintéressé? Tout à fait. [...] Mais on sait aussi que la Chine essaie d’exercer du contrôle sur la diaspora chinoise au Canada. Donner des livres pro-Chine ou progouvernement peut être interprété comme une tentative d’influencer la population», analyse Dennis Molinaro, ancien analyste de sécurité nationale qui enseigne maintenant à Ontario Tech University.
«C’est aussi surprenant qu’on ait tenté de passer par la mairesse. Si tu veux donner des livres à la bibliothèque, tu contactes la bibliothèque habituellement», conclut-il.
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