Uber, Skip et Instacart défient la loi québécoise: l’OPC va-t-il sévir?


Julien McEvoy
Plus d’un mois après l’entrée en vigueur de la loi, les trois géants de la livraison Uber, Skip et Instacart violent toujours les nouvelles règles du Québec sur les pourboires, soutient Option consommateurs.
Des captures d’écran du 5 juin le prouvent, selon l’organisme. Ces plateformes manipulent toujours leurs clients avec des messages émotionnels, des présélections trompeuses et des pressions psychologiques. Six mois de délai pour se conformer? Visiblement, c’était optionnel.

Cette impunité présumée pousse Option consommateurs à porter plainte à l’Office de la protection du consommateur. Une démarche qui révèle l’inaction des autorités québécoises.
La preuve par l’image
Sur l’application Uber Eats, des émojis accompagnent encore les options de pourboire. Skip the Dishes présélectionne un montant, forçant le client à le décocher. Instacart ajoute des qualificatifs persuasifs à côté des pourcentages.

Pourtant, le règlement ne souffre d’aucune ambiguïté: «Une sollicitation ne doit contenir que les choix de montants, sans aucun autre élément.»
L’avocat d’Option consommateurs Alexandre Plourde traque ces pratiques depuis des mois: «En ajoutant des messages, des adjectifs ou des émojis aux côtés des options de pourboire, les commerçants font pression sur les consommateurs pour les inciter à laisser plus de pourboire que voulu.»
Conformité à la carte
Son collègue et analyste Luis Pineda établit un fait troublant: les trois entreprises respectent certaines dispositions, mais ignorent délibérément les autres. Cette conformité partielle dévoile une stratégie calculée.
«Ils demandent le pourcentage de pourboire avant taxes. Alors, cette partie de la loi, ils la respectent, mais ils ne respectent pas l’ensemble de la réglementation», révèle l’analyste en consommation.

Cette approche sélective contraste avec l’adaptation complète observée chez de nombreux restaurants et commerces de détail. Ces derniers ont modifié leurs terminaux pour respecter l’intégralité des nouvelles exigences.
Pourquoi les géants américains s’autorisent-ils ce que les PME québécoises n’osent pas?
L’OPC promet d’analyser
Contacté par Le Journal, l’Office de la protection du consommateur confirme que les plaintes reçues «sont traitées et analysées et peuvent mener à des interventions auprès des commerçants».
Les sanctions possibles sont de 2500$ à 62 500$ pour une personne physique et de 5000$ à 125 000$ pour une entreprise. Charles Tanguay, responsable des relations avec les médias, précise que l’Office «ne peut commenter davantage à l’égard d’une plainte reçue».
Quatre semaines de violations documentées. Plus de trois millions d’utilisateurs québécois concernés. Zéro intervention publique de l’organisme censé les protéger.
Cette passivité incite à s’interroger, d’autant plus que l’OPC n’hésite pas à sévir contre les petits commerçants. Récemment, l’Office a retiré le permis de vente itinérante à Les systèmes rainbow pour des pratiques similaires.
Deux poids, deux mesures?
L’enjeu dépasse le pourboire
Option consommateurs vise plus large que cette seule violation. «Par ces plaintes, nous voulons indiquer la direction à suivre à tous les commerçants», martèle Alexandre Plourde. Le message: le respect de la loi s’applique, «quelle que soit la taille de l’entreprise».
Luis Pineda dévoile l’ambition réelle: «Cette plainte s’inscrit dans une perspective plus large d’encadrement nécessaire des interfaces truquées.» Ces pratiques limitent l’autonomie du consommateur lorsqu’il navigue en ligne.
«C’est un premier pas vers une réglementation de ces tactiques qui poussent le consommateur à dépenser de l’argent et du temps à son insu», avertit l’analyste.
Le test québécois
L’affaire révèle un enjeu de souveraineté numérique. Le Québec peut-il imposer ses règles aux géants technologiques américains? Ou ces derniers dicteront-ils leurs conditions aux 8,5 millions de Québécois?
Reste à savoir si l’OPC osera s’attaquer aux géants américains ou si ces violations resteront impunies. Pour l’instant, seule Option consommateurs fait le travail que l’État devrait faire.
La réponse d’Uber Canada
Voici la réponse d’Uber à nos questions. Reçue par courriel, elle est attribuée à Jonathan Hamel, gestionnaire des affaires publiques au Québec.
«Suite à l’adoption de la nouvelle loi, nous avons posé les gestes nécessaires et revu nos écrans de pourboire afin de se conformer aux nouvelles exigences. En conformité avec la loi, plusieurs options sont présentées au client, qui peut également opter de déterminer le montant du pourboire lui-même. De plus, la suggestion de pourboire est calculée en proportion du montant de la facture avant les taxes. Dans tous les cas, le consommateur peut lui-même choisir le montant du pourboire laissé ou décider de ne pas laisser de pourboire. Comme il s’agit de nouvelles exigences, nous sommes ouverts à avoir des échanges constructifs avec les autorités compétentes à ce sujet.»
Ce que dit la loi
Pourboire avant taxes: obligatoire depuis le 7 mai 2025
Présentation neutre: aucun message persuasif permis avec les options
Pas de présélection: toutes les options doivent être présentées de manière uniforme
Choix libre: le consommateur doit pouvoir déterminer lui-même le montant
Sanctions: amendes possibles pour non-conformité
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