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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

Uber Eats, un emploi qui appauvrit les jeunes

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Photo portrait de Francis Gosselin

Francis Gosselin

2025-08-16T04:00:00Z
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L’expérience menée par ma collègue Nora T. Lamontagne ces derniers jours révèle une réalité économique surprenante des travailleurs d’Uber Eats.

Uber Eats et l’ensemble des plateformes qui paient leurs travailleurs des pacotilles pour un travail «à la pièce» existent parce qu’il y a au Québec, en 2025, des gens qui considèrent que leur travail ne vaut pas le salaire minimum.

Ils sont étudiants, travailleurs étrangers, chômeurs ou simplement des individus qui survivent sur la fine ligne entre pauvreté et itinérance.

Uber Eats, ce n’est pas un emploi. C’est, au mieux, un passe-temps. Au pire, une forme moderne et excessivement pernicieuse d’esclavage.

Des chiffres qui ne mentent pas

Le marché de la livraison instantanée «à la Uber Eats» ne devrait, en principe, pas vraiment exister. Les restaurants le font par obligation. Les livreurs travaillent pour à peu près rien. Les clients paient des frais exorbitants.

Uber Eats, c’est une taxe sur la paresse et la désorganisation.

La plupart des adeptes de cette économie flexible sont jeunes: l’âge moyen est 25 ans et les trois quarts ont moins de 30 ans.

En travaillant une semaine complète de près de 40h, Nora a gagné à peine 400$. Impossible, dans ces circonstances, de se loger convenablement. De se nourrir. D’élever une famille.

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On pourrait donc croire que ce n’est pas un travail, mais un rite de passage.

Est-ce qu’en travaillant toutes les semaines, Nora développerait une certaine efficacité?

Prisonnier du système

Mais les exemples de livreurs incapables de joindre les deux bouts après 2000, 3000 livraisons abondent. Ce qu’on constate, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux à rester prisonniers de ces systèmes.

On peut bien entendu casser du sucre sur le dos d’Uber. Exiger une intervention étatique. Proposer d’en faire des salariés. Mais la logique de ce marché est implacable: des gens acceptent volontairement, pendant des mois ou des années, de travailler dans ces conditions.

Pour eux, la valeur d’une heure de travail «flexible» est inférieure à 16,10$.

Une illusion de liberté

Pourtant, alors que plusieurs secteurs sont toujours aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre, des milliers d’emplois beaucoup plus payants restent à pourvoir.

Le principal avantage des plateformes de l’économie à la tâche, c’est l’illusion de flexibilité qu’elles procurent. Ainsi, se disent de nombreux jeunes, je n’ai pas de patron. Pas d’horaire. Pas d’obligations.

Difficile de ne pas faire de lien avec cette étude du Financial Times qui montre un effondrement majeur des traits psychologiques que sont l’autodiscipline et le respect des obligations chez les plus jeunes. Le FT montre aussi, en parallèle, une progression de l’instabilité émotionnelle et de l’anxiété.

Est-ce qu’Uber Eats alimente ceci? Ou inversement, est-ce qu’une génération anxieuse et incapable de se projeter se fait plus facilement capturer par ces plateformes prédatrices?

Ne pas avoir de patron, c’est bien. Mais si c’est pour se rendre esclave d’un Léviathan capitaliste, est-ce vraiment un prix juste à payer?

On a longtemps affirmé que les jeunes préféraient les «expériences» au détriment de la possession matérielle.

C’est peut-être vrai.

Mais les conséquences à long terme de cette spontanéité flexible, de ce rejet de la hiérarchie, de cette volonté de flexibilité et d’indépendance absolue ont un coût. On crée une caste de travailleurs isolés et précaires.

C’est un choix, dit-on.

Un choix qui appauvrit les jeunes, mais aussi toute la société.

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