Trudeau laisse le pays dans une situation économique difficile, disent des experts
Gabriel Côté et David Descôteaux
Après neuf années houleuses au pouvoir, Justin Trudeau laisse le Canada dans une situation économique difficile notamment en raison de choix politiques trop «éparpillés», selon des experts.
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À l’automne 2015, l’économie canadienne bat de l’aile malgré le retour récent à l’équilibre budgétaire sous le gouvernement de Stephen Harper, et Justin Trudeau arrive au pouvoir en promettant aux Canadiens de renouer avec la croissance, quitte à essuyer des déficits temporaires.
« Force est de constater que des déficits, il y en a eu, et ils ont été plus élevés que prévu », lance Jimmy Jean, économiste en chef chez Desjardins.
Rappelons que le déficit fédéral est passé de 40 à 61,9 milliards $ en 2023-2024, lors de la mise à jour économique présentée au mois de décembre.
Si M. Jean admet qu’il y a bel et bien eu de la croissance économique sous les gouvernements de Justin Trudeau, il juge néanmoins son bilan «décevant», particulièrement en ce qui a trait à l’ajout au stock de capital et aux investissements dans les entreprises.
«Sur ce plan-là, je ne pense pas qu’il y a eu d’améliorations notables [pendant les années Trudeau], surtout si on regarde le bilan de la productivité au Canada. On a vu la population croître, et les ménages s’endetter davantage», ajoute-t-il.
L’ancien député fédéral de La Prairie, Jean-Claude Poissant, et l’analyste Stéphanie Tougas commentent la démission de Justin Trudeau au micro de Benoit Dutrizac, à QUB, diffusé au 99,5 FM
À qui la faute?
L’économiste n’est donc pas surpris que les Canadiens grimacent quand on leur demande si l’économie va dans la bonne direction. Selon l’index de confiance de Bloomberg, 60% de la population croit que l’économie du pays va s’affaiblir dans les six prochains mois.
«Le moral des Canadiens, au niveau économique, est vraiment dans les talons, constate M. Jean. Quand on regarde le marché de l’emploi, ce n’est pas si mal. C’est vraiment la question de la hausse du coût de la vie...»
Après avoir marqué une pause, l’expert précise qu’on ne peut raisonnablement attribuer qu’«une faible partie» de ce problème au gouvernement fédéral. «Il y a beaucoup de choses qui sont hors de son contrôle et qu’on a vues partout ailleurs, comme l’inflation, la hausse des taux d’intérêt, la pandémie, la guerre en Ukraine. Tout ça a frappé partout», note-t-il.
«Ça aurait été n’importe qui au pouvoir, on aurait eu exactement les mêmes problèmes», opine l’économiste Mario Seccareccia, qui enseigne à l’Université d’Ottawa.
«Et quand les gens sont dans une situation difficile, c’est la nature humaine de chercher des responsables», renchérit Jimmy Jean.
Des choix «éparpillés»
Mais en tant que chef du gouvernement, M. Trudeau conserve nécessairement une part de responsabilité pour la situation économique dans laquelle se trouve aujourd’hui le pays.
«Au niveau des choix politiques, on a été très éparpillés, selon moi, dit Jimmy Jean. On a voulu répondre à toutes les crises et à tous les enjeux, que ce soit les changements climatiques, la réconciliation. Le gouvernement a aussi été dépendant du NPD, et a dû mettre en place des programmes pour les soins dentaires et le soutien aux aînés.»
«Dans tout ça, on a perdu le focus sur l’essentiel: générer de la richesse pour pouvoir se payer ces services-là», conclut l’économiste.
Dépenses hors de contrôle
Dix années consécutives de déficits (en incluant le déficit prévu de près de 40 milliards $ cette année): ce sera le principal legs de Justin Trudeau sur le plan budgétaire. Le premier ministre aura réussi l’exploit peu enviable de doubler la dette fédérale pendant son séjour à Ottawa. Après des années de déficits, d’endettement et de dépenses de programmes hors de contrôle, la dette est passée de moins de 700 milliards $ en 2015 à plus de 1300 milliards aujourd’hui, passant de 31% à 42% du PIB.
Les frais d’intérêt sur la dette coûteront aux contribuables 53,7 milliards $ cette année. À titre de comparaison, le gouvernement dépensera 52,1 milliards $ en transferts de santé aux provinces cette année, illustre la Fédération canadienne des contribuables. L’organisme ajoute que les frais d’intérêt sur la carte de crédit du gouvernement coûtent aux contribuables canadiens plus d’un milliard de dollars chaque semaine. Mais qui se compare se console: les autres pays du G7 sont tellement endettés que le Canada demeure l’un des deux pays, avec l’Allemagne, à avoir le plus faible déficit budgétaire en pourcentage de son PIB...
Productivité en chute libre
Ces deux dernières années, le PIB par habitant a augmenté au total de 3% aux États-Unis, mais diminué de 3% en Ontario et au Québec, soulignait récemment le professeur Pierre Fortin. Mais il s’agit d’une tendance lourde qui dure depuis des décennies, donc difficilement attribuable à un premier ministre en particulier. Cela dit, si la croissance du PIB au Canada avait suivi celle des États-Unis depuis l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, les revenus des Canadiens seraient en moyenne supérieurs d’environ 17%, calcule le Financial Post.
Le coupable est principalement la faible productivité au Canada. La performance du Canada s’est détériorée sur ce plan de façon importante depuis la pandémie et devrait inquiéter gravement tous les Canadiens, en particulier les jeunes, notait la Banque TD dans une note économique récente. Le niveau de vie des Canadiens, mesuré par le PIB réel par habitant, était même inférieur en 2023 à celui de 2014, juste avant l’arrivée en poste de Justin Trudeau.
221 000 fonctionnaires fédéraux de plus
La fonction publique fédérale a beaucoup engraissé pendant les trois mandats de Justin Trudeau comme premier ministre. À son arrivée au pouvoir en novembre 2015, il y avait un peu plus de 514 000 fonctionnaires fédéraux. Un peu plus de neuf ans plus tard, ils sont désormais 735 544, ce qui représente une augmentation de 43%. À titre de comparaison, il y a aujourd’hui près de 1 million d’employés de plus dans le secteur public, quand on prend en compte tous les paliers de gouvernement dans chacune des provinces.
Justin Trudeau dépose également les armes au moment où le taux de chômage a atteint 6,8% en novembre dernier, un sommet depuis janvier 2017, exception faite des années 2020 et 2021, pendant la pandémie de COVID-19. Il y a quelques mois, ce taux était de 5,4%.
Le casse-tête de l'immigration
Cette hausse du chômage s’explique par l’augmentation du nombre de personnes à la recherche de travail, un phénomène qui n’est pas étranger à la hausse considérable du nombre d’immigrants au cours des dernières années. Chez les immigrants récents, le taux de chômage a atteint 9,2% en novembre, 1,2% de plus qu’à pareille date un an plus tôt, et 5% de plus que chez les personnes nées au Canada.
Justin Trudeau a d’ailleurs reconnu en novembre qu’il aurait dû agir plus rapidement pour réformer les programmes d’immigration. À l’automne, le fédéral a annoncé une réduction du nombre de nouveaux résidents permanents au Canada, en plus d’apporter certains changements au programme des travailleurs étrangers, ce qui a causé bien des maux de tête à de nombreuses entreprises. Certaines ont même confié au Journal qu’elles craignaient de devoir délocaliser une partie de leurs activités aux États-Unis, faute d’avoir suffisamment d’employés de ce côté de la frontière.
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