Trop d’hommes (et pas assez de femmes) dans les festivals punk, dénonce une page Facebook


Andrea Lubeck
Une page Facebook s’est donné pour mission de dénoncer les festivals québécois de musique punk qui programment que des artistes masculins, ou à peu près. L’objectif: lever le voile sur le manque d’inclusion des femmes dans les scènes undergrounds.
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Si le milieu de la musique punk prône des valeurs d’inclusivité, «au niveau de la représentativité [sur la scène], c’est une autre histoire», déplore Ema, membre du collectif féministe Les Insoumises.
C’est justement ce phénomène que veut dénoncer la personne derrière la page Facebook Mise à jour quotidienne sur la présence de femmes dans les festivals.
«J’ai parti la page un peu sur un coup de tête dans le but de promouvoir le plus possible de groupes et démontrer que ces arguments sont souvent fallacieux», explique celle qui ne souhaite pas révéler son identité pour éviter de recevoir des messages désobligeants.
Les arguments auquel la personne administratrice de la page fait référence: le fait qu’il n’y aurait pas beaucoup de groupes punk avec des femmes et qu’ils seraient moins bons que ceux composés d’hommes.
La page a été créée après que le festival Red Bridge Fest a dévoilé les premiers groupes qui fouleront ses planches les 7 et 8 juin prochains, à Pont-Rouge.
Parmi eux, on compte des bands mythiques de la scène punk des années 2000, dont Lagwagon, The Planet Smashers, Mustard Plug et Millencolin. Une programmation qui ne comprend, jusqu’ici, que des musiciens hommes, exception faite du groupe Beautiful Nightmares, composé de deux adolescentes.
«Le but n’est pas de pointer du doigt un seul évènement. Par contre, c’est, pour l’instant, celui qui a le plus d’annonces faites pour la prochaine édition, indique la personne administratrice de la page. Et il y aura des publications pour célébrer les groupes avec présence féminine lorsqu'ils seront annoncés. Le but est principalement de célébrer la diversité et non pas seulement de chialer.»
La page a également cité le Festival au Lac, le festival Rock la Cauze et le festival américain When We Were Young pour leur programmation qui manque de diversité de genre, selon la personne administratrice.
Pour chaque groupe 100% masculin annoncé dans la programmation d’un festival, la page en propose trois comptant au moins une femme.
Or, pour Amélie Guérard, cofondatrice du Red Bridge Fest, l’idée est, d’abord et avant tout, de faire jouer des groupes qu’elle et son conjoint Vincent Bussières, cofondateur du festival, aiment.
«On priorise des artistes que l'on connait et que l'on apprécie, sans aucun égard à leur identité de genre, leur orientation sexuelle, leur provenance ou leur culture, qui serait un processus discriminatoire à outrance à mon avis», indique par courriel celle qui occupe également le poste de vice-présidente de People of Punk Rock Records, l’organisme à but non lucratif derrière le Red Bridge Fest.
Des groupes entièrement féminins ou avec une présence féminine se sont d’ailleurs produits au festival dans les années passées, dont Killing Daisies et Bad Cop Bad Cop en 2022.
La parité est possible
Pourtant, il est désormais facile pour les organisateurs de festivals d’inclure des groupes issus de la diversité culturelle ou de genre dans leur programmation, même si la musique punk était historiquement dominée par les hommes blancs cisgenres, note Ema, des Insoumises.
Chaque semaine, le collectif fait la promotion de groupes provenant de partout dans le monde sur ses pages Facebook et Instagram.
C’est pourquoi les Insoumises et la personne derrière la page Facebook s’expliquent mal qu’en 2023, les festivals ne présentent pas davantage d’artistes femmes et de la diversité de genre. Surtout que le mouvement #MeToo, qui n’a pas épargné les scènes undergrounds, a fait souffler un vent de sensibilisation à l’égard de l’inclusion des femmes.
Pour les organisateurs du Pouzza Fest, qui se tient en mai à Montréal depuis 11 ans, il suffit donc de fournir un petit effort supplémentaire pour ajouter des bands avec des membres diversifiés.

La programmation du festival, qui met en scène quelque 150 groupes, se situe d’ailleurs dans la zone paritaire année après année. «Dès qu’on a parti ça, on essayait idéalement que ce soit 50-50», indique Hugo Mudie, cofondateur du festival, en entrevue à 24 heures.
«À l’époque, c’était peut-être plus difficile, mais on utilisait [la discrimination positive]. Dès qu’un groupe avec des femmes, des artistes ouvertement queers ou issus de la diversité culturelle envoyaient leur candidature, on les acceptait automatiquement parce qu’on voulait atteindre l’égalité. Mais aujourd’hui, on n’a plus besoin de le faire parce qu’il y a tellement de groupes cool qui s’inscrivent que ça se fait tout seul», poursuit le musicien.
Cultiver les espaces sécuritaires
Les efforts du festival ont porté fruit, puisque le public est de plus en plus diversifié, constate Guilhem Benard, responsable de la programmation du Pouzza Fest.
«Il y a des festivaliers et même des artistes qui viennent nous voir et qui nous disent qu’ils se sentent bien au festival, que c’est un safe space qu’ils n’ont pas ressenti ailleurs», précise-t-il.
Les Insoumises épaulent justement le festival en ce sens, puisque ses membres se promènent sur les lieux des spectacles, prêtes à aider une personne qui ne se sentirait pas en sécurité.
L'objectif est également de former la prochaine génération de musiciens punk, envers qui les organisateurs de festivals ont «une responsabilité», soutient Guilhem Benard.
«Pour nous, c’est important que les personnes issues de la diversité culturelle et de genre se voient représentées sur scène. Je veux qu’une petite fille qui vient au festival assiste à un spectacle et qu’elle se dise qu’elle peut faire de la musique plus tard», renchérit Hugo Mudie.