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L'article provient de Le Journal de Québec
Politique

Troisième lien: pas besoin d’un tunnel ou d’un nouveau pont, disent des experts

Ils proposent des solutions pour réduire la congestion entre Québec et Lévis

Le projet de bitube du gouvernement Legault a été officiellement abandonné au printemps 2023.
Le projet de bitube du gouvernement Legault a été officiellement abandonné au printemps 2023. Illustration d’archives fournie par le gouvernement du Québec
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Stéphanie Martin et Taïeb Moalla

2023-09-23T04:00:00Z
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Pas besoin d'un tunnel ou d'un nouveau pont comme troisième lien, disent plusieurs experts consultés par Le Journal, qui préconisent d'autres solutions pour améliorer la circulation, maintenant que le gouvernement a abandonné le volet autoroutier entre Québec et Lévis.  

Cinq spécialistes interrogés (voir ci-contre) suggèrent en effet une panoplie de mesures et d’idées à mettre en œuvre, à court et à moyen terme, pour lutter contre la congestion routière. Plusieurs estiment que si le gouvernement du Québec tient à aller de l’avant avec un tunnel, il devrait être réservé au transport en commun. 

Le printemps dernier – et même si elle a fait campagne sur cet enjeu lors des deux derniers scrutins –, la Coalition Avenir Québec (CAQ) a fini par abandonner son projet de tunnel routier bitube reliant les deux rives.    

Pas d'études

Les coûts astronomiques (entre 6,5 G$ et 10 G$) et la généralisation du télétravail (consécutive à la pandémie) ont été les principaux arguments justifiant ce recul. Plusieurs élus, dont le maire de Lévis, y ont néanmoins vu une trahison envers les électeurs.   

En abandonnant le volet autoroutier, le gouvernement caquiste a annoncé qu’il construira un tunnel consacré au transport en commun. De nouvelles études devront dire quel mode (métro, tramway, service rapide par bus, bus...) y circulera.    

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« Avons-nous besoin d’un tunnel pour le transport en commun ? Une telle infrastructure est-elle justifiée économiquement et socialement ? Peut-être que non », estime l’expert Emiliano Scanu. Ce dernier dresse un parallèle avec « le projet de tunnel autoroutier qui ne s’appuyait pas sur des études d’opportunité pouvant le justifier ou des études montrant des impacts positifs économiques environnementaux ».   

La chercheuse Fanny Tremblay-Racicot abonde dans le même sens : « Je ne proposerais pas d’aménagement ou de projet d’infrastructure », dit-elle, en évoquant d’autres solutions (voir ci-contre).  

Des doutes exprimés  

Les experts doutent par ailleurs fortement que le gouvernement réalise cette énième mouture embryonnaire du mégaprojet.    

« Je crois que le gouvernement va abandonner le tunnel dédié exclusivement au transport en commun. Il réintroduira peut-être les voitures ou il abandonnera carrément l’idée d’un tunnel », prévoit M. Scanu.   

Pour Jean Mercier, « le gouvernement de la CAQ a fait son sacrifice de l’appui de son électorat de la Rive-Sud pour le troisième lien. Il a ce luxe aujourd’hui avec la faiblesse des partis d’opposition ».    

Cela dit, « son intention déclarée d’en faire éventuellement un projet limité au transport en commun va mettre un peu au silence les partisans du transport en commun [...]. Il faut s’attendre à ce qu’il [le gouvernement] ne fasse rien pour faire avancer le dossier pour longtemps, probablement plusieurs années », ajoute-t-il.    

La situation l’an dernier

Il y a un an, lors de la campagne électorale provinciale, les cinq principaux partis en lice avaient cinq propositions fort distinctes sur la table. La CAQ, au pouvoir depuis 2018, préconisait un immense tunnel sous-fluvial bitube comprenant quatre voies de circulation. 

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Le Parti Québécois proposait un train léger empruntant un tunnel sous-fluvial. Québec solidaire misait sur un SRB (service rapide par bus) entre le centre-ville de Lévis et l’ouest de Québec en passant par le pont de Québec. 

De leur côté, les libéraux proposaient une troisième ligne du tramway de Québec qui se rendrait jusqu’à Lévis, tandis que les conservateurs tablaient sur deux ponts avec une autoroute traversant l’île d'Orléans. 

Dans le contexte de l’élection partielle du 2 octobre dans la circonscription de Jean-Talon, ces propositions pourraient évoluer, mais elles n'ont toujours pas été présentées dans le cas des partis d'opposition. 

Pour ce qui est du gouvernement, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a annoncé son intention d’analyser divers scénarios pour le tracé, le choix du mode de transport collectif et l’échéancier des travaux. 

Améliorer le transport en commun

La clé pour améliorer la fluidité entre les deux rives commence par l’amélioration du transport en commun, estiment les chercheurs. 

Marie-Hélène Vandersmissen indique qu’il s’agit d’une « priorité » du côté des ponts, là où se trouve une forte demande en transport pour les lieux de résidence, les commerces, les lieux de travail. 

Elle préconise des voies réservées « idéalement en tout temps, mais absolument pendant les heures de pointe » sur l'un des deux ponts et sur les accès qui y mènent ainsi que sur l’ensemble du parcours. Elle rappelle que les voitures causent la congestion tout en transportant peu de personnes. 

« La capacité des ponts est actuellement sous-utilisée et serait mieux exploitée avec des autobus à capacité élevée, circulant sur des voies réservées. » 

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Fanny Tremblay-Racicot ajoute qu’on doit également améliorer considérablement la traverse Québec-Lévis. 

Des solutions peu populaires, mais efficaces

Les experts identifient une panoplie de solutions qui pourraient changer la donne, même si elles risquent de ne pas faire l’unanimité. Pour Emiliano Scanu, on peut envisager de taxer les VUS, d’interdire la publicité des voitures – comme on l'a fait pour les cigarettes –, de mettre en place des règlements pour freiner l’étalement urbain ou de créer des incitatifs pour prendre le transport en commun au lieu d'acheter une voiture électrique. 

« Ce type de mesures amèneraient des bénéfices pour tout le Québec [et la planète] plutôt que simplement pour Québec et Lévis. Ce sont des solutions moins populaires, très peu coûteuses, mais probablement beaucoup plus efficaces. » 

Jean Mercier souligne les gains qui pourraient être faits avec l’adaptation des voies sur le pont Pierre-Laporte, qui permettrait d’ajouter une voie dans le sens de la circulation à l’heure de pointe. Jean Dubé ajoute : « Il est important d’investir dans les alternatives à la voiture à Québec. Il faut probablement aussi contraindre la facilité à l’utilisation de la voiture et penser à retirer des voies pour les redonner aux modes alternatifs. » 

Obliger les grands employeurs à contribuer

Pour Fanny Tremblay-Racicot, la solution ne passe pas par un nouveau projet d’infrastructure, mais par une politique qui obligerait les grands employeurs à se doter d’un plan de déplacement de leurs employés. 

« Ces plans permettent de réduire l’usage de l’auto solo, augmenter la fréquentation des transports collectifs, favoriser l’utilisation des modes actifs et, aussi, financer de manière pérenne le volet “exploitation” des transports collectifs. » 

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De tels plans ont été adoptés à Washington et à Seattle. 

Cela peut passer par l’offre de navettes, des incitatifs financiers pour l'utilisation du transport collectif, les horaires décalés hors des heures de pointe, le covoiturage ou la modulation des tarifs pour décourager le stationnement sur le site d’emploi. 

À Québec, déjà, l’Université Laval a repoussé l’heure de début de plusieurs cours pour tenter de réduire la circulation routière aux abords du campus.  

Attendre de voir l’impact du tramway

Avant de réfléchir à un projet d’infrastructure entre les deux rives, il faut attendre de voir l’impact qu’aura le tramway sur les déplacements, avise Jean Mercier. 

« Dans un contexte où il y aura d’autres ajouts au tramway avec le temps, cela va se poser autrement. Car il faut s’attendre à ce que l’utilisation du tramway sera forte et va beaucoup changer la ville, son atmosphère et le type des débats qu’on va y trouver. » 

Avec l’avènement de ce mode de transport structurant, « on aura une meilleure idée de la situation de la circulation à Québec », prévoit-il.  

Et si le problème n’en était pas un ?

« Avons-nous besoin d’une solution pour un problème qui n’existe peut-être pas ? », se demande le professeur Emiliano Scanu, qui note la baisse de l’achalandage sur les routes, notamment avec le télétravail. « Il y a de la congestion sur les ponts aux heures de pointe, mais pas véritablement en dehors de ces périodes. Ici, le véritable problème est que, souvent, on crée des problèmes afin d’imposer des solutions préfabriquées, et cela, pour plusieurs raisons [électoralistes, idéologiques, etc.]. » La société, dit-il, doit se poser une question cruciale : « Voulons-nous encourager le transport en commun, qui est compatible avec la lutte contre les changements climatiques, ou le transport motorisé qui va empirer une situation déjà très grave ? C’est donc un débat de société qu'on devrait envisager. C’est à la suite de ce débat qu’on pourra discuter de la meilleure infrastructure [ou solution] pour relier les deux rives. » 

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Les solutions des militants

Les organismes qui militent pour le transport collectif ont aussi leur avis sur les solutions à envisager et ils s’entendent pour dire qu’il ne faut pas ajouter de capacité routière. 

Angèle Pineau-Lemieux, d’Accès transports viables, plaide pour l’amélioration de la traverse, l’ajout de mobilité active et l’optimisation des transports collectifs à la tête des ponts. 

Pour Christian Savard, de Vivre en Ville, Lévis a beaucoup à faire. 

Elle doit mieux financer son transport collectif et même envisager le service rapide par bus sur Guillaume-Couture, plutôt que les voies réservées préconisées qui n’ont, selon lui, « rien de structurant ». Il croit aussi qu’il faut « étudier sérieusement la possibilité de créer une grande ligne diagonale régionale. L’option d’un troisième lien uniquement dédié au transport en commun doit être sérieusement étudiée ». 

Les experts

  • Jean Dubé : économiste, professeur titulaire, directeur de l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l'Université Laval. 
  • Jean Mercier : professeur associé au Département de science politique, docteur en études urbaines, spécialisé en transports, en politiques publiques, en planification et en transport à l’Université Laval. 
  • Emiliano Scanu : professeur adjoint en sciences sociales au Département de sociologie, membre régulier de l'Institut en environnement, développement et société, membre associé au Centre de recherche en aménagement et développement à l’Université Laval. 
  • Fanny Tremblay-Racicot : professeure agrégée à l’École nationale d’administration publique. 
  • Marie-Hélène Vandersmissen : vice-doyenne aux études, rédactrice en chef des Cahiers de géographie du Québec à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique à l’Université Laval. 
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