Trois acteurs de l'ombre au Québec auxquels Mark Carney doit une fière chandelle

Avec 43 sièges au Québec, Mark Carney doit une bonne part de sa victoire de lundi dernier aux électeurs d'ici. Mais il doit aussi une fière chandelle à trois stratèges politiques québécois qui ont joué un rôle clé durant sa campagne et même avant. Proches du gouvernement Trudeau, ils ont tous un pied dans le secteur privé. Le Journal vous présente leur portrait.

David Lametti: l'entremetteur

«Mark est un bon ami depuis plus de 30 ans. J’ai bénéficié de ses conseils, de son intelligence, de son humour et de son charme, et plus que tout, de son amitié. Je suis meilleur grâce à lui. Je suis ravi qu’il s’engage à servir le Canada à ce moment critique et je travaillerai dur pour l’aider», déclarait M. Lametti le 16 janvier sur Instagram.

En coulisse, l’ex-ministre de la Justice travaillait déjà depuis des mois à la candidature de son ancien coéquipier de hockey étudiant. L’économiste gardait les buts de l’équipe de l’Université Oxford, tandis que le juriste était défenseur.

Le parcours vers la victoire a débuté peu après que Justin Trudeau a exclu M. Lametti du cabinet. Un soir de party de Noël du Parti libéral, en décembre 2023, l’ex-ministre devenu simple député est arrivé accompagné de son ami, Mark Carney, l’aidant ainsi à tisser des liens avec les députés et les ministres qui allaient tourner le dos à Justin Trudeau.

Peu après, en janvier 2024, le cabinet d’avocats Fasken annonçait que M. Lametti se joindrait à son équipe d’avocats-conseils dès qu’il quitterait le Parlement. Cette équipe guide d’importants clients commerciaux dans les arcanes juridiques et réglementaires du pays. Ce qui inclut les contrats et le financement publics.

«Que l’enjeu auquel vous faites face relève d’une administration fédérale, provinciale ou municipale, nous pouvons vous aider à élaborer la meilleure stratégie pour atteindre le résultat souhaité», promet Fasken à ses clients sur son site web.

L’avocat, le politicien, l’ami de jeunesse Lametti s’implique en parallèle dans la campagne au leadership de Mark Carney, puis le conseille en mars dans la constitution de son cabinet, avant de faire campagne pour lui au Québec.

Il a recruté un candidat pour reprendre son ancienne circonscription de LaSalle-Émard-Verdun, l’ex-patron d'IBM, Claude Guay, et parcouru la province, allant jusqu’à Rimouski pour soutenir le candidat libéral.

Le soir du scrutin, il était aux premières loges au rassemblement libéral à Ottawa et ne cachait pas son enthousiasme. Quel rôle jouera-t-il pour la suite?

«Je servirai si Mark me le demande, a-t-il déclaré à CTV dans la foule de partisans. J’ai travaillé dur pour faire élire Mark, je continuerai de le soutenir.»

Thomas Pitfield: le génie des données

C’est lui qui a orchestré la campagne de Mark Carney à titre de directeur général et chef stratégiste. Dans sa manche, un outil désormais reconnu comme une machine à gagner des élections: une discrète entreprise techno du Vieux-Montréal, Data sciences.

Peu avant d’embarquer dans l’autobus Carney, Pitfield et Data Sciences ont aidé le travailliste Keir Starmer à remporter une des plus fortes majorités jamais gagnées au Royaume-Uni.

Époux de la députée de Notre-Dame-de-Grâce-Westmount et ancienne présidente du parti libéral, Anna Gayney, Pitfield est un ami d’enfance de Justin Trudeau. Son père, Michael Pitfield, était le confident de Pierre Elliott Trudeau. Greffier du Conseil privé, il a ensuite été sénateur.

De cette amitié est née leur collaboration en 2012. Quand Justin Trudeau s’est lancé dans la campagne au leadership du Parti libéral, Thomas Pitfield était en première ligne. Il a ensuite créé la Libéraliste, la base de données qui sert de socle aux campagnes du parti depuis 2015.

Les experts de Data Sciences utilisent l’intelligence artificielle pour digérer des données provenant de la Libéraliste, des réseaux sociaux et autres pour recommander au parti quelle stratégie adopter quand et où, afin de persuader et de mobiliser l’électorat.

L’entreprise a déjà été engagée ainsi dans plus d’une vingtaine de campagnes à travers le monde. Partout, elle aide des partis sociaux-démocrates qui défendent les mêmes idées que le think tank qu’a aussi cofondé Pitfield, Canada2020.

Ce groupe de réflexion a été une importante tribune pour Mark Carney dans les dernières années. Il en a d’ailleurs dirigé le conseil consultatif.

En janvier, peu avant le lancement de la campagne au leadership libéral, la proximité entre Carney et le grand gourou des données a fait craindre que l’ex-banquier bénéficie d’une longueur d’avance injuste: Pitfield a accès à toutes les données confidentielles du parti, avec cela, Carney aurait pu facilement écraser ses adversaires.

Pitfield a dû déclarer publiquement qu’il demeurerait neutre jusqu’à l’élection d’un nouveau chef.

Andrée-Lyne Hallé: La guide au Québec

Codirectrice de la campagne nationale de Mark Carney, Andrée-Lyne Hallé a joué un rôle clé dans la razzia libérale au Québec lundi soir. Même en 2015, lorsque le parti a remporté sa majorité surprise, il n’avait pas réussi à remporter autant de sièges dans la belle province.

Ex du parti libéral du Québec et de l’équipe Trudeau, Hallé n’en était pas à sa première bataille électorale. Elle a une connaissance fine du terrain et était une des francophones québécoises de la garde rapprochée de Carney au cours de la campagne.

À elle, et à son équipe de terrain, revenait donc la tâche de livrer un cours de culture québécoise 101 à l'économiste de Fort Smith. Suffisamment pour qu’il sache nommer une artiste québécoise (Cœur de Pirate) et le nom de l’ancien groupe d’humour de Guy A. Lepage (Rock et Belles Oreilles) à Tout le monde en parle.

Cette campagne marquait un retour à la politique pour elle. Depuis deux ans, elle porte plutôt le chapeau de directrice des affaires publiques du géant français Alstom. Concurrent de Bombardier, Alstom est le premier opérateur ferroviaire privé en Amérique du Nord.

Alstom est par exemple responsable de l’exploitation et de la maintenance des équipements et des infrastructures du REM, en partenariat avec AtkinsRéalis. L’entreprise a aussi été choisie pour construire les rames du tramway de Québec. En France, elle fabrique notamment des trains à grande vitesse (TGV).

Et justement, la plateforme libérale promet de bâtir un TGV entre Québec et Windsor.

Au cours de la campagne, le ministre François-Philippe Champagne s’est rendu à l’usine d’Alstom à La Pocatière. Il y a déclaré que le gouvernement Carney allait accélérer ses investissements dans le transport collectif. Il a ajouté que l’usine du géant français pourrait jouer un rôle stratégique dans la guerre tarifaire avec Washington.

Durant la visite éclair de Mark Carney à Paris en mars, le président français Emmanuel Macron a lui-même souligné que le projet de TGV serait un exemple du rapprochement économique stratégique nécessaire entre Paris et Ottawa, face à Washington.

«Dans le contexte international actuel, nous voulons pouvoir développer aussi nos projets les plus stratégiques avec nos partenaires les plus proches, les plus loyaux», a dit M. Macron.