Tous des loups: qui chasse qui?
Josée Boileau
Un western à la canadienne : l’expression n’est pas usitée et pourtant elle s’applique sans peine à Tous des loups, un roman enlevant, mais qui creuse aussi la notion de justice.
Ronald Lavallée, qui signe son quatrième roman de sa simple initiale R. Lavallée, nous transporte au début du 20e siècle avec Tous des loups.
On est plus précisément en 1914, dans le Nord canadien. La nature est rude, les paysages désertiques et les populations autochtones méfiantes devant les Blancs qui débarquent.
Matthew Callwood y arrive fort d’un idéalisme sans faille. Il vient d’entrer dans la Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest, l’ancêtre de la Gendarmerie royale du Canada, et il a demandé (ses collègues n’en reviennent pas !) d’être envoyé au nord de la Saskatchewan, dans un poste isolé que toute recrue cherche à fuir.
Au contraire, Callwood croit profondément à sa mission de veiller au maintien de l’ordre sur tout le territoire, en respectant les populations locales et en s’assurant que les policiers eux-mêmes tiennent leur rang. Bottes bien cirées, pas d’alcool, bienveillance, mais aucun passe-droit quand il faut appliquer la loi : voilà sa maxime.
Or ainsi ne va pas la vie : il vaut parfois mieux fermer les yeux, surtout quand il s’agit d’arracher les enfants de leur famille pour les envoyer dans les pensionnats réservés aux petits Autochtones. Callwood se pose de plus en plus de questions.
D’autant que finalement, il n’y a pas grand-chose à faire. Le crime se fait rare, si ce n’est une vieille histoire d’un meurtrier en cavale. Pourquoi ne pas tenter de le retrouver plutôt que se tourner les pouces pendant les deux ans de son mandat ? Ce qui est d’autant plus frustrant qu’en Europe, la Grande Guerre a éclaté et que les hommes comme lui sont appelés à combattre, pas à regarder le temps passer.
Action et questionnement
C’est ainsi que nous sommes entraînés dans une chasse à l’homme qui se déroulera dans des paysages fabuleux. L’auteur a grandi sur une ferme du Manitoba, il a donc une connaissance approfondie du coin de pays qu’il décrit. Ce nord-là, impitoyable, n’a pas tant changé et Lavallée sait en parler.
Il nous fait par ailleurs passer par toute une série de retournements : qui est coupable, qui aide, qui ment, qui piège qui... On n’est sûrs de rien.
Quant à Callwood, il vient d’un milieu privilégié et tout pétri de bons sentiments soit-il, il ne sait pas comment faire face à la misère humaine. À l’inverse, ses deux collègues ne cachent pas leurs préjugés. Pourtant, ils ont développé des liens avec les Autochtones et les Métis. Affaire de force, d’autorité, ou d’une familiarité partagée du côté âpre de la vie ?
Tout ce questionnement, qui transforme Callwood, est aussi prenant que l’action du roman. Celui-ci est par ailleurs émaillé de références historiques, ce qui rend encore plus crédible ce récit d’il y a 100 ans.
Mais au fond, la vie dans une communauté isolée est-elle vraiment plus facile aujourd’hui ?