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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

«Le fils du Trickster» d'Eden Robinson: tourmenté par un esprit malicieux

Photo fournie par Red Works
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Photo portrait de Marie-France Bornais

Marie-France Bornais

2023-06-10T04:00:00Z
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Écrivaine haisla-heiltsuk extrêmement talentueuse, finaliste du prestigieux prix Giller, Eden Robinson raconte le quotidien loufoque d’un jeune de 16 ans, Jared, aux prises avec un problème d’alcool, et de son entourage dans son roman Le fils du Trickster. Tellement de choses bizarres surviennent que sa grand-mère finit par croire qu’il est le fils du Wee’Git, un genre d’esprit malicieux qui tourmente sa famille depuis des générations. Chose certaine, Jared a le don de se mettre dans le trouble. Comme le Wee’Git.

Jared, un jeune à grande gueule, est occupé par son petit trafic de biscuits au pot. Dans sa famille, il semble se passer toutes sortes de choses étranges : il y a des loutres cannibales, des hommes-gorilles, des lucioles philosophes. Et un Wee’Git qui rôde.

Eden Robinson, écrivaine au sens de l’humour extraordinaire, fait apparaître des mythes autochtones ancestraux dans ce récit contemporain qui parle des grandeurs et misères de la vie d’un jeune Autochtone de la côte ouest canadienne.

Et c’est formidable, authentique, très drôle, émouvant, captivant.

«J’ai écrit mes romans précédents de 22 h à 2 h du matin, mais j’ai revu mon horaire pour écrire celui-ci, parce que j’enseignais en même temps», explique-t-elle, en entrevue depuis Kitamaat, en Colombie-Britannique, un village où il pleut «193 jours par année».

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«J’ai programmé ma cafetière pour 3 h 50 du matin, parce que le seul temps libre dont je disposais pour écrire, c’était entre 4 h et 5 h du matin. Je pense que la première semaine, j’ai écrit un seul paragraphe. C’était vraiment souffrant... mais à la fin de l’année, j’avais réussi à écrire environ 360 pages.»

«Je pense que ça explique pourquoi Le fils du Trickster est tellement différent de mes autres romans: mon éditrice intérieure n’était pas réveillée!» commente-t-elle avec humour. C’est peut-être ce qui explique la grande liberté qu’on ressent dans ce roman, l’absence de filtres, de carcans ou de censure.

Photo fournie par VLB Éditeur
Photo fournie par VLB Éditeur

Ni bon ni méchant

«J’ai toujours rêvé d’écrire une histoire de trickster et je voulais écrire à propos de notre trickster à nous, le Wee’Git. Il y a différents tricksters sur la côte de la Colombie-Britannique : il y en a des bons et des méchants. Celui que je décris est un peu entre les deux.»

Elle raconte: «Quand j’étais jeune, nous n’avions que deux canaux de télévision. Après souper, on se rassemblait en famille autour de la table de cuisine. Les adultes fumaient. On mangeait de la tarte et on buvait du café. On racontait des histoires de Wee’Git... et on se relançait. C’était à qui créait la meilleure histoire. C’est ce que je voulais faire ressortir dans mon roman.» Elle trouve que les traditions se perdent. 

«Je viens d’une famille de conteurs. Les jeunes, aujourd’hui, ne connaissent plus ces histoires et je voulais les transmettre tout en les transposant au temps présent.»

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Mythes traditionnels

Eden Robinson explique que le fameux trickster qu’elle décrit appartient aux mythes traditionnels: c’est un genre d’esprit qui se métamorphose et qui n’obéit à rien ni personne. 

«On l’utilisait dans notre culture pour expliquer aux jeunes enfants ce qui peut arriver quand on brise les règles établies. Le trickster dont je parle n’est pas un personnage, ni un esprit, ni une divinité: il est dans une zone grise. Il s’intéresse aux gens : il aime parfois rendre service... mais seulement s’il peut obtenir quelque chose en retour!»

«Il a un gros ego et quand il se met dans le pétrin, c’est parce que quelqu’un a flatté cet ego, ou parce qu’il essaie de démontrer à quel point il est fort. Parfois, il est complètement fou. C’est un personnage curieux qui veut toujours savoir tout ce qui se passe. C’était très amusant à écrire.»

  • Eden Robinson est une romancière membre des Premières Nations Haisla et Heiltsuk.
  • Elle détient une maîtrise en création littéraire.
  • Elle a publié un recueil de nouvelles à l’époque où elle était goth.
  • Ses deux premiers romans, Monkey Beach et Blood Sports, étaient plutôt sombres parce qu’elle ne savait pas à l’époque qu’elle était intolérante au gluten.
  • Le fils du Trickster et les deux autres tomes de la trilogie du Trickster (traductions à paraître) ont été écrits sous l’influence du tofu poêlé.
  • Le fils du Trickster a été finaliste au prestigieux prix littéraire Giller

EXTRAIT

«Les parents de Jared partirent. Le pick-up démarra en grondant puis s’éloigna peu à peu. Sophia tourna la tête vers la porte et baissa les yeux vers Jared.

– T’as vu Spider-Man? Ça joue à neuf heures et demie. Je pense pas que c’est en 3D, mais ils ont du popcorn, ce qui n’est pas un dessert. C’est juste des fibres.

Jared, qui allait saisir sa tasse de chocolat chaud, s’immobilisa.

– J’ai pas le droit d’être dehors après neuf heures.

– Tes parents vont se soûler et passer le reste de la nuit enfermés dans une chambre d’hôtel. Tu pourrais être en train de cambrioler des stations--service qu’ils s’en ficheraient.»

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