Tennis: Wimbledon interdit aux joueurs russes
Le plus prestigieux tournoi de tennis a choisi de les bannir en réponse à l’invasion armée de l’Ukraine

Jessica Lapinski
Deuxième meilleure raquette de l’ATP, Daniil Medvedev ne foulera pas le gazon de Wimbledon à la fin juin. Le plus prestigieux tournoi de tennis au monde a annoncé aujourd'hui que les joueurs russes et biélorusses ne pourront y participer, en raison de l’invasion armée de l’Ukraine par ces deux pays.
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L’épreuve anglaise, troisième levée du Grand Chelem de la saison, est ainsi devenue le premier tournoi de tennis à sanctionner les athlètes de pareille façon.
Depuis le début du conflit, en février, les joueurs de tennis de la Russie et de la Biélorussie ont pu continuer à disputer des matchs professionnels, mais sous bannière neutre. Ils avaient uniquement été exclus des compétitions par équipe, telles que la Coupe Davis ou la Coupe Billie Jean King.
Plusieurs autres institutions sportives, dont la FIFA, qui fédère le soccer international, ont déjà banni les sportifs russes et biélorusses de leurs événements, à la recommandation du Comité olympique international.
Statement regarding Russian and Belarusian individuals at The Championships 2022.
— Wimbledon (@Wimbledon) April 20, 2022
« Dans les circonstances d’une agression militaire injustifiée et sans précédent, il serait inacceptable que le régime russe tire le moindre bénéfice de la participation de joueurs russes ou biélorusses [au tournoi] », a expliqué l’organisation londonienne dans un communiqué.
Une décision « dure »
La décision sera revue si les « circonstances changent radicalement d’ici juin », soit peu avant le début de l’épreuve qui se déroulera cette année du 27 juin au 10 juillet.
« Nous reconnaissons que cette décision est dure pour les personnes individuellement affectées et c’est avec tristesse qu’elles vont souffrir des actes des leaders du régime russe », a ajouté Ian Hewitt, le président du All England Club, site du majeur sur gazon.
Parmi eux se trouve Medvedev, qui a été brièvement numéro 1 mondial cette saison et vainqueur des derniers Internationaux des États-Unis, mais aussi Andrey Rublev, huitième, et Karen Khachanov, 26e.

Chez les femmes, la Biélorusse Aryna Sabalenka, quatrième au monde, est la meilleure joueuse qui soit sanctionnée (voir plus bas).
Des otages, dit le Kremlin
Cette décision a été condamnée par le Kremlin qui, par l’entremise de son porte-parole Dmitri Peskov, a déclaré « [qu’ils] font des sportifs les otages de préjugés politiques, d’intrigues politiques ».

L’ATP, instance qui régit le tennis masculin, mais dont Wimbledon et les trois autres tournois majeurs sont indépendants, a aussi critiqué le bannissement des joueurs russes et biélorusses, le qualifiant « d’injuste ».
« La discrimination basée sur la nationalité constitue également une violation de nos accords avec Wimbledon aux termes desquels la participation d’un joueur n’est basée que sur son classement. Nous allons maintenant analyser [...] quelle suite donner à cette décision », a réagi l’association masculine.
La fédération féminine, la WTA, a émis une déclaration semblable.
Svitolina exhorte à condamner
Les principaux athlètes touchés par cette décision n’avaient pas réagi dans les heures qui ont suivi cette annonce.

Mais aujourd'hui, l’Ukrainienne Elina Svitolina a appelé les grandes fédérations de tennis à bannir les joueurs de la Russie et de la Biélorussie de leurs compétitions si ces derniers ne condamnaient pas de façon directe « l’invasion de l’Ukraine », « les activités militaires en Ukraine » et « les régimes » des présidents Vladimir Poutine et Alexander Lukashenko.
Certains, dont Medvedev et Rublev, ont parlé ouvertement du conflit à ses débuts. Le premier a dit vouloir « la paix dans le monde entier » et le second a notamment signé « pas de guerre svp » sur la lentille d’une caméra, après avoir remporté un match à Dubaï en février.
La Biélorusse Victoria Azarenka, ancienne première au monde et gagnante de deux titres du Grand Chelem, a pour sa part dit qu’elle trouvait « déchirant de voir combien de personnes innocentes ont été affectées et continuent de l’être par cette violence ».
Mais ces mots et ces gestes semblent insuffisants aux yeux de l’ex-top 3 mondiale, originaire d’Odessa.
« Comme athlètes, nous vivons dans l’œil du public, ce qui nous confère une énorme responsabilité, a-t-elle publié sur ses réseaux sociaux. [...] Nous avons noté que certains joueurs russes ou biélorusses ont vaguement mentionné la guerre, mais n’ont jamais mentionné que la Russie et la Biélorussie l’avaient commencée sur le territoire de l’Ukraine. »
« En temps de crise, le silence signifie que l’on donne son accord à ce qui se produit », a ajouté la joueuse.
– Avec l’AFP
Les principaux joueurs exclus
HOMMES
- Daniil Medvedev (RUS/N.2/26 ans) : il se remet d’une hernie pour laquelle il a annoncé le 2 avril en avoir pour « un ou deux mois ». Finaliste cette année aux Internationaux d’Australie et vainqueur du dernier US Open, il avait atteint la ronde des 16 à Wimbledon l’an dernier, son meilleur résultat en quatre participations.
- Andrey Rublev (RUS/N.8/24 ans) : il avait atteint l’an dernier la ronde des 16 sur le gazon londonien, son meilleur résultat à ce jour. Il a atteint, sans jamais les dépasser, les quarts de finale dans les trois autres majeurs.
- Karen Khachanov (RUS/N.26/25 ans) : il avait atteint les quarts de finale en 2021, son meilleur résultat en Grand Chelem, déjà atteint en 2019 à Roland-Garros.
- Aslan Karatsev (RUS/N.30/28 ans) : il n’avait jamais joué le tableau principal d’un majeur avant de passer les qualifications et d’atteindre les demi-finales à l’Open d’Australie, en 2021. À Wimbledon, il a perdu son unique match du tableau principal, l’an dernier.
- Aussi concerné : Ilya Ivashka (BLR/N.44/28 ans)
FEMMES
- Aryna Sabalenka (BLR/N.4/23 ans) : elle a atteint les demi-finales à Wimbledon l’an dernier, avant de récidiver quelques semaines plus tard à New York. Cette année, elle reste sur une élimination en ronde des 16 en Australie.
- Anastasia Pavlyuchenkova (RUS/N.15/30 ans) : finaliste à Roland-Garros en 2021, elle n’a jamais vraiment brillé sur gazon. À Wimbledon, son meilleur résultat est le quart de finale atteint en 2016. L’an dernier, elle avait perdu au troisième tour.
- Victoria Azarenka (BLR/N.18/32 ans) : elle a joué deux fois les demi-finales à Wimbledon, mais cela remonte à 2011 et 2012. Depuis, elle a encore atteint les quarts en 2015, mais elle reste sur une élimination au deuxième tour l’an dernier.
- Aussi concernées : Daria Kasatkina (RUS/N.26/24 ans), Veronika Kudermetova (RUS/N.29/24 ans), Liudmila Samsonova (RUS/N.31/23 ans), Ekaterina Alexandrova (RUS/N.39/27 ans), Aliaksandra Sasnovich (BLR/N.50/28 ans), Varavara Gracheva (RUS/N.73/21 ans), Anna Kalinskaya (RUS/N.75/23 ans), Kamilla Rakhimova (RUS/N.95/20 ans), Vera Zvonareva (RUS/N.100/37 ans) Source : AFP
Les autres tournois ne devraient pas emboîter le pas
Eugène Lapierre est surpris par la décision de Wimbledon

Rien n’indique que le Canada bannira à son tour les joueurs russes et biélorusses de ses compétitions de tennis, affirme le directeur de l’Omnium Banque Nationale de Montréal, Eugène Lapierre, qui s’est dit surpris par la décision prise aujourd'hui par le tournoi de Wimbledon.
« Le monde du tennis avait l’air de s’être rangé unanimement derrière la décision [de laisser jouer les Russes et les Biélorusses sous drapeau neutre], a pointé M. Lapierre. On se disait que le sport était rassembleur, qu’on n’allait pas pénaliser des athlètes qui n’y sont pour rien et qui se sont pour la plupart prononcés contre la guerre. »
L’ATP et la WTA, les deux instances qui chapeautent respectivement le tennis masculin et féminin, ont d’ailleurs fortement critiqué le bannissement des athlètes russes et biélorusses par Wimbledon, aujourd'hui.
Roland-Garros et les Internationaux des États-Unis n’ont pas prévu pour l’instant d’emboîter le pas, même si, à l’instar du majeur disputé à Londres, ils sont indépendants des deux fédérations de tennis.
D’autres tournois anglais
Les seules autres épreuves touchées devraient être celles qui sont sanctionnées par la Lawn Tennis Association (LTA), l’équivalent anglais de Tennis Canada. La LTA a dit aujourd'hui qu’elle bannirait aussi les Russes et Biélorusses de ses événements.
On parle principalement de tournois préparatoires à Wimbledon qui sont disputés en sol anglais, comme celui du Queen’s, chez les hommes, et d’Eastbourne, chez les hommes et les femmes.
Car, rappelle M. Lapierre, la décision de Wimbledon est en grande partie politique. « On comprend que c’est une très très forte recommandation du gouvernement de la Grande-Bretagne, à laquelle la LTA et Wimbledon se sont pliés », a-t-il relevé.
Le gouvernement anglais a d’ailleurs réagi à l’annonce par l’entremise de son ministre des Sports Nigel Huddleston, qui a souligné « l’action décisive » de Wimbledon.
« Nous jouons un rôle de premier ordre sur le plan international afin que le président Poutine ne soit pas en mesure d’utiliser le sport afin de légitimer l’invasion barbare de l’Ukraine. Bannir des athlètes est un enjeu complexe qui divise l’opinion publique, mais une plus grande cause est à l’enjeu », a déclaré M. Huddleston, dont les propos ont été repris par la BBC.
Pas au Canada
Certains événements sportifs d’envergure se sont déroulés en sol canadien dans les dernières semaines sans la présence d’athlètes russes ou biélorusses.
Mais ils avaient été bannis par leur fédération et non interdits d’entrée par le Canada. Ce fut notamment le cas aux Championnats du monde de patinage de vitesse courte piste, qui se sont déroulés à Montréal au début avril.
« Rien ne démontre [qu’une décision comme celle de Wimbledon] pourrait être prise au Canada, a affirmé M. Lapierre. On semble tous être assez d’accord pour dire que c’est quelque chose qui pourrait jeter de l’huile sur le feu. »
« On aimerait que la population russe comprenne qu’on n’est pas contre elle, mais contre son gouvernement. Alors si on commence à taper sur leurs athlètes, ça pourrait les endurcir dans le sens contraire de ce que l’on souhaite voir », a-t-il poursuivi.