«Ta vie ne t’appartient plus»: une victime de violence conjugale vit dans la peur depuis 11 ans

Yannick Beaudoin
Une Québécoise affirmant être victime de violence conjugale depuis plus de 10 ans a témoigné jeudi du cauchemar qu’elle vit, lors d’une entrevue accordée à l’émission de Benoit Dutrizac, à QUB télé et radio, diffusée simultanément sur les ondes du 99,5 FM à Montréal.
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La femme qui souhaite conserver l’anonymat soutient avoir peur de son ex-conjoint; elle craint les répercussions pour elle-même, mais également pour ses enfants.
«En permanence, on a le système nerveux enflammé, on est toujours sur le qui-vive. On a toujours peur qu'il nous arrive quelque chose. On a peur d'être la prochaine», a affirmé Ariane (nom fictif).
Cette dernière explique qu’elle subit de la violence conjugale depuis 11 ans de la part du même homme. Pourtant, elle n’est plus en relation avec lui depuis 7 ans.
«Ça fait 11 ans en fait que je vis de la violence conjugale et dans ces 11 années-là, il y en a 7 qui sont post-séparation. Ça, ça veut dire que malgré le fait que j'ai quitté la relation, je vis encore des violences», raconte Ariane.
«Récemment, j'ai dû porter plainte à nouveau contre lui parce qu'il a menacé de s'en prendre à moi [...] Il a menacé de me tuer», ajoute-t-elle.
Or, prouver la culpabilité d’un homme qui fait subir de la violence conjugale à sa conjointe est très compliqué et difficile, rappelle la présumée victime.
«Il n'y a jamais de preuves tangibles, c'est ce qui se passe entre quatre murs. La violence conjugale, c'est insidieux, il n'y a personne qui est au courant forcément, puis il n'y a pas toujours des traces. Même s'il s'en prend physiquement, un étranglement ne fait pas forcément de traces», indique Ariane.
À la violence physique qu’aurait subie cette dernière s’ajoutent la violence sexuelle et la violence financière.
«Ces gens-là, ils imposent leur volonté là, on est dans un contrôle coercitif. Ta vie ne t'appartient plus là, tu es une ressource à exploiter pour cet homme-là», témoigne-t-elle.
Contrôle coercitif
En plus d’être souvent sans défense physiquement et psychologiquement contre leur bourreau, les victimes ont peu de recours et peu de réel soutien de l’extérieur, mentionne Ariane.
«Il n'y a pas beaucoup de choses qui sont mises en place pour protéger les victimes. Puis, il y a énormément de coupures aussi dans tous les services aux victimes», clame-t-elle.
Le contrôle coercitif, soit les techniques de manipulation psychologiques, financières, physiques et sexuelles utilisées par un homme responsable de violence conjugale, n’est pas suffisamment pris au sérieux par les autorités, estime Ariane.
«Ici, le contrôle coercitif, on te rit au visage [...] En cour, tu ne peux pas être reconnu coupable de contrôle coercitif», souligne-t-elle.
La présence d’enfants dans cette situation de violence conjugale complique également l’affaire, clame Ariane.
«C'est sûr que j'ai peur pour mes enfants parce que mes enfants, ils vivent ça, sont exposés à ça, à ces situations-là, puis ce sont eux qui sont pénalisés dans la situation. Puis les prochaines étapes, c'est sûr que dès que la police intervient dans un cas de violence conjugale, il a la DPJ qui est impliquée. Donc, c'est sûr, il y a un suivi avec la DPJ. Malheureusement, les DPJ ne s’y connaissent pas en matière de violence conjugale, ils vont parler toujours de conflit parental», affirme-t-elle.
Ariane avoue avoir peu d’espoir de voir son ex-conjoint payer pour l’horreur qu’il lui fait subir depuis 11 ans. Les tribunaux se contentent souvent d’une simple tape sur les doigts, estime-t-elle.
«C'est comme, payez 200 dollars à l'organisme du choix de madame, ne passez pas par GO et vivez votre vie», illustre la femme.
Manipulateurs très habiles
Son conjoint est toujours en liberté et Ariane avoue ne pas savoir quoi faire pour mettre fin à cette violence conjugale.
«On n'ose pas faire de plaintes parce qu'on a peur d'être la méchante personne [...] J'ai appelé la police au moins quatre fois, mais [il y a] seulement deux fois où j'ai porté plainte. Et il y a seulement une plainte active en ce moment, puisque l'autre plainte, la première plainte qui était la plainte la plus grave, a été abandonnée puisque je suis retournée dans ma relation. Ç’a pris 5 minutes, puis le juge, il a fait: "OK, c'est correct, on ferme le dossier"», relate Ariane.
Cette dernière met d’ailleurs en garde les gens qui jugent les victimes de violence conjugale qui restent en couple avec leur conjoint violent, ou même celles qui retournent auprès de celui-ci.
«Il ne faut pas oublier que ces gens-là choisissent d'être violents et ils savent se contrôler. Ils savent quoi dire, ils savent quoi faire. Souvent, ils vont aller utiliser justement de la violence émotionnelle. [Ils disent]: "Je vais changer", ils donnent des espoirs, [ils disent]: "Je vais consulter." Évidemment, c'est tout le temps des choses qui ne se font, qui ne se font pas», soutient la présumée victime.
«Ils vont venir se créer un état de déséquilibre intérieur en nous pour qu'on se remette constamment en question, comme: "Coudonc! C'est peut-être moi, j'ai peut-être exagéré. Je vais lui laisser une chance. Je veux réussir ma famille"», ajoute-t-elle.
Parler de ce qu’elle subit à son entourage ou en public représente également un risque pour Ariane. Celle-ci craint d’être poursuivie pour diffamation si elle brise le silence.
«Ces gens-là instrumentalisent beaucoup le système judiciaire à leur avantage.[...] Si tu as eu le malheur de te défendre, bien, ils vont faire des plaintes croisées. Puis là, ça mélange tout le système», mentionne-t-elle.
Les personnes autour d’elles qui sont au courant de la situation ne veulent souvent pas intervenir, indique Ariane.
«Il y en a beaucoup qui ne veulent pas se mêler de ça. J'en ai eu combien autour de moi, des voisins, des voisines [...] qui m'ont dit: "Non, moi, je ne m'en mêle pas"? Les gens ne s'en mêlent pas, les gens n'interviennent pas, ils ne veulent pas voir, ils ne veulent pas savoir. C'est quelque chose qui rend les gens très inconfortables, raconte la femme.
«Dans la mesure où j'aurais quelqu'un qui voudrait aller le voir pour lui dire: "Ça suffit" ou peu importe... premièrement, ça ne marchera pas et deuxièmement, il peut porter plainte à ce moment-là contre les personnes qui vont aller le rencontrer pour intimidation ou harcèlement», indique-t-elle.
Pour voir l’entrevue complète, visionnez la vidéo ci-haut.