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L'article provient de Le Journal de Montréal
Société

Syndicats, patrons et grèves: la révolution sanglante qui a mené à la Révolution tranquille

Grève de Murdochville (1957)
Grève de Murdochville (1957) Photo Bibliothèque et Archives Canada
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Photo portrait de Martin Landry

Martin Landry

2024-02-03T05:05:00Z
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Il y a 90 ans aujourd’hui, le 3 février 1944, les députés de l’Assemblée législative du Québec adoptent la Loi sur les relations ouvrières. La nouvelle législation obligera les patrons à négocier de bonne foi avec les syndicats.

Au Québec, comme partout en Occident, il a fallu que le législateur impose des règles claires pour que des conventions collectives ne se règlent plus à coups de poing sur la gueule, mais favorisent véritablement des négociations de bonne foi. Malheureusement, jusque dans les années 70, les luttes syndicales sont ardues et teintées de violence. 

Grève des réalisateurs de Radio-Canada (1958)
Grève des réalisateurs de Radio-Canada (1958) Photo Archives CSN

SYNDICALISME AU QUÉBEC

Jusqu’en 1872, plusieurs lois limitent les regroupements de travailleurs. Les patrons se perçoivent la plupart du temps comme des donneurs d’ouvrage bien généreux. Ils ne se gênent pas pour influencer le législateur afin de freiner les droits des travailleurs.

Malgré tout, les premières unités syndicales apparaissent dès les premières années du 19e siècle chez des groupes de charpentiers, de menuisiers et chez des imprimeurs. Graduellement, des affiliations se créent chez les typographes, les cordonniers, les cigariers, les mécaniciens et les débardeurs.

À la fin du 19e siècle, le rythme inhumain de la production industrielle, les longues semaines de travail (60 à 72 heures), la violence des patrons, les salaires dérisoires et les blessures graves, voire les morts dues au manque de sécurité, contribuent à la naissance de ces associations syndicales. Effectivement, au tournant du siècle, il n’existe aucune règle pour les salaires, les bâtiments industriels mettent à risque la vie des travailleurs, puis les agressions physiques des dirigeants, surtout envers les femmes et les enfants, sont fréquentes. 

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Cette mobilisation syndicale devient l’unique moyen d’obtenir une amélioration des conditions de travailleurs parce que, jusqu’au milieu des années 40, les gouvernements sont bien frileux à imposer des règles coercitives envers les patrons.

L’absence de législations contraignantes, la mollesse de faire appliquer celles qui existent et le manque de pouvoir du mouvement syndical favorisent l’agressivité lors des conflits ouvriers. 

LOI MARTIALE POUR CONTRÔLER LES GRÉVISTES

Au printemps 1903, désespérés par leur salaire de misère et leurs conditions pitoyables, 2000 débardeurs du port de Montréal bloquent l’entrée des navires. Après l’intervention des patrons du port, plusieurs d’entre eux se désolidarisent et refusent de faire la grève. Ceux qui choisissent de reprendre le travail doivent être escortés par la police pour franchir les lignes de piquetage. Évidemment, le conflit s’envenime et oppose dans la violence les grévistes et les non-grévistes. Cette désorganisation civile force les autorités à faire sortir les soldats des casernes et n’impose rien de moins que la loi martiale. En fait, l’absence de loi encadrante et de pouvoir réel pour les syndicats encourage cette violence lors des négociations en milieu de travail. 

Grève des débardeurs (1903)
Grève des débardeurs (1903) Photo Wikimedia Commons / Domaine public

GRÈVES HISTORIQUES

Dans le même ordre d’idées, dans les années 30, les 50 000 tisserands de la Dominion Textile, presque toutes des femmes, travaillent depuis longtemps pour un misérable salaire de 25 sous l’heure (semaine de 60 heures). En 1937, ces femmes en ont assez et, pour forcer l’employeur à les respecter, elles sortent des filatures de la compagnie et font la grève. Toutefois, l’employeur ne semble pas tellement impressionné. Après 25 journées sans salaire, elles acceptent la médiation, mais l’entreprise comprend qu’elle a le gros bout du bâton et fait très peu de concessions. Elle accepte d’abaisser la semaine à 50 heures et d’arrêter les machines pendant les repas pour que le travail reprenne. Cependant, quelques mois plus tard, elle refuse de renouveler cette entente et tout est à recommencer. 

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Grève du textile (1937)
Grève du textile (1937) Photo Conrad Poirier, BAnQ

Dans les années 1940 et 1950, les politiciens au pouvoir sont bien souvent de connivence avec les patrons et freinent l’évolution du droit du travail. 

À la fin des années 40, le Québec produit 85 % de l’amiante consommé dans le monde et l’épicentre de cette production se fait dans la ville minière d’Asbestos. Malheureusement pour les mineurs, l’inhalation des fibres de cet amiante cause des maladies pulmonaires, comme l’amiantose et d’autres cancers. Le plus triste est qu’à cette époque-là, on savait très bien que la poussière d’amiante était extrêmement dangereuse. 

En février 1949, les travailleurs choisissent de quitter leur emploi et d’arrêter la production dans les quatre mines d’amiante des Cantons-de-l’Est (à Asbestos et à Thetford Mines). Ces 5000 travailleurs revendiquent entre autres de meilleurs salaires, neuf jours de congés payés, plus d’influence de leurs délégués syndicaux, une pension de vieillesse et surtout, des mesures comme le port d’un simple masque pour limiter l’inhalation de la poussière d’amiante par les mineurs. La compagnie américaine, la Johns-Manville Compagny, fait fi de la grève et engage des travailleurs de remplacement. 

Grève de l’amiante (1949)
Grève de l’amiante (1949) Photo BAnQ numérique

Comme d’habitude, le gouvernement du Québec se range du côté des patrons de l’entreprise et demande à la police provinciale de rétablir l’ordre et de s’assurer du bon fonctionnement de la mine. L’Église catholique, elle, se range pour la première fois dans un conflit ouvrier du côté des grévistes, ce qui la met en opposition au gouvernement de l’Union nationale. La situation dégénère et l’affrontement entre la police provinciale et les grévistes tourne à la violence. Insultes, menaces, coups de matraque dans les côtes, nez cassés et bombes lacrymogènes, les 400 policiers mobilisés procèdent à des arrestations massives et ne se gênent pas pour battre les grévistes après leur incarcération. Une situation qui attire l’attention de la presse internationale.

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«Je découvre... un Québec que je ne connaissais pas, celui des travailleurs exploités par la direction, dénoncés par le gouvernement, assommés par la police...»
Pierre Elliott Trudeau, 29 ans
CONSÉQUENCES D’UN CONFLIT MARQUANT

Épuisés après cinq mois de conflit, les travailleurs acceptent de revenir au travail pour une maigre augmentation de 5 cents l’heure, mais sans masques pour se protéger de la poussière mortelle d’amiante. Les affrontements attirent par contre l’attention des médias, puis de la population et mettent en lumière l’oppression systémique du gouvernement antisyndicaliste de l’Union nationale.

Quelques années plus tard, les travailleurs syndiqués de la mine de cuivre de Murdochville tentent de changer d’affiliation syndicale pour adhérer aux Métallurgistes unis d’Amérique, syndicat qui a la réputation d’avoir les coudées franches. Murdochville est une ville appartenant à Gaspé Copper Mines (filiale de l’empire Noranda inc.). Les patrons de l’entreprise tentent par tous les moyens d’empêcher cette affiliation en faisant jouer leurs puissants contacts au bureau du premier ministre Duplessis. Ce dernier avait instauré une bien dangereuse loi qu’on appelait la «loi du cadenas» (1937), une loi votée supposément pour protéger la province contre la propagande communiste, mais qui, dans les faits, servait bien souvent à freiner les actions des syndicats. L’État va donc mettre à la disposition de l’entreprise minière sa puissante machine juridique pour tenter d’empêcher cette nouvelle affiliation syndicale. 

Grève chez Dupuis Frères (1952)
Grève chez Dupuis Frères (1952) Photo Archives de la Confédération des syndicats nationaux

Quand une centaine de travailleurs impliqués de près dans la démarche syndicale, dont le président du syndicat, sont congédiés, l’arrogance des patrons fait sauter la marmite et une grève est déclenchée (11 mars 1957). La compagnie refuse de négocier et fait appel à des briseurs de grève. Parmi ces employés de remplacement, on retrouve de nouveaux arrivants hongrois qui ont fui leur pays envahi par l’URSS. Ils se font offrir de remplacer les miniers communistes québécois en grève. De leur côté, les policiers sont dépêchés avec le mandat de soumettre les grévistes. La grève de Murdochville sera caractérisée encore une fois par l’intimidation, la violence policière, les injustices envers les travailleurs et même la mort de deux hommes.

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En contrepartie, cette grève suscite une mobilisation de la collectivité québécoise et un vent de solidarité nationale de la population contre les abus des patrons. Au dénouement du conflit, après sept mois d’affrontement, la majorité des grévistes vont perdre leur emploi au profit de travailleurs de remplacement. Cet affrontement sanglant entrera dans l’histoire comme l’une des plus irrespectueuses négociations syndicales de l’histoire ouvrière du Québec. Elle ouvrira la porte à une nouvelle génération de politiciens qui comprendront l’urgence de mettre en place des règles claires pour forcer les patrons et les syndiqués à négocier de bonne foi. 

Des syndicalistes comme Jean Marchand ou Théo Gagné, mais aussi des mouvements de grève comme ceux des débardeurs, des travailleurs du textile et de l’amiante, des employés de Dupuis Frères ou de la mine de cuivre de Murdochville ont certainement contribués à l’avènement de la Révolution tranquille. Ce moment important dans notre histoire a favorisé la naissance de lois pour rééquilibrer le rapport de force entre les travailleurs et les patrons. 

Rassemblement du Front commun au Forum de Montréal le 7 mars 1972
Rassemblement du Front commun au Forum de Montréal le 7 mars 1972 Photo Michel Giroux, Archives CSN

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