Stratagème frauduleux: ce retraité de Québec perd plus de 800 000$ en 18 mois en tentant de vendre son timeshare
Un médecin vétérinaire à la retraite qui a fait confiance à des individus qui paraissaient très professionnels ignore où est passé son argent


Jean-François Cloutier
Un médecin vétérinaire à la retraite de Québec qui a fait confiance à des individus qui lui offraient de racheter son timeshare au Mexique à fort prix a été lessivé de plus de 800 000$ en 18 mois.
Réjean Chabot, 79 ans, a vécu ce qui s’apparente en tous points à un stratagème frauduleux déjà décrit par notre Bureau d’enquête à l’émission J.E en février dernier dans lequel des Québécois ont perdu des milliers de dollars en tentant de se débarrasser de leur timeshare.
Mais aucune de ces personnes n’a perdu autant d’argent que ce retraité, laissant croire que son cas constitue une mise en garde pour tous les Québécois qui seraient tentés de vendre leur forfait en temps partagé.
Réjean Chabot a fait l’achat d’un timeshare à la fin des années 1990 dans un luxueux complexe hôtelier Vidanta, à Nuevo Vallarta, où se produit notamment depuis l’an dernier le Cirque du Soleil.

En janvier 2023, il a été contacté par un homme prétendant représenter une agence de voyages américaine intéressée par le rachat de son timeshare. Le septuagénaire a alors accepté une offre à 125 000$ US à condition de ne pas avoir à débourser un sou de sa poche, ce que lui a confirmé le représentant de l’acheteur.
Avant de signer quoi que ce soit, pour le rassurer, M. Chabot a été mis en contact avec une prétendue médecin québécoise qui a vanté son expérience au moment de la vente de son timeshare. Il a aussi fait relire par un cabinet d’avocats de Québec le contrat de vente qu’on lui avait soumis, qui ne présentait rien d’anormal.
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Une douzaine de virements
Mais les fraudeurs étaient rusés. Quelques jours après avoir signé l’entente, M. Chabot aurait été informé par un représentant de l’acheteur qu’il devait payer des taxes pour la transaction. Il effectue alors un virement de plus de 10 000$.
S’en suivra toutefois une quinzaine de transactions jusqu’en juin 2024 pour toutes sortes de prétextes évoqués par les acheteurs, qui réclamaient taxes, impôts, cautions, frais et pénalités, notamment, pour compléter la vente (voir encadré).
Le retraité était toutefois convaincu qu’il pourrait récupérer ces sommes une fois le timeshare vendu, puisqu’elles avaient été placées «dans une fiducie», selon ce qu’on lui avait expliqué.
Son argent apparaît d’ailleurs encore sur le site de la prétendue firme financière américaine US Commercial Escrow Corp., quand il s’enregistre. À l’adresse déclarée par cette organisation à New York, il n’y a toutefois aucune trace de l’entreprise, a pu faire vérifier sur place notre Bureau d’enquête. Quand on appelle, il n’y a aucun message vocal, et la boîte vocale est pleine.

Au mois d’août, on lui aurait réclamé à nouveau des montants. De plus en plus inquiet, M. Chabot a alors contacté son député, qui le réfère au Centre antifraude du Canada. C’est à ce moment qu’on l’informe qu’il est très probablement victime d’une arnaque. Le retraité porte finalement plainte à la police en octobre (voir autre texte).
«Je ne suis pas fier, j’aurais dû être plus méfiant», a expliqué humblement Réjean Chabot à notre Bureau d’enquête lors d’une rencontre à sa résidence en banlieue de Québec.
Enquête en cours
Réjean Chabot n’a pas caché que les montants perdus hypothèquent très sérieusement sa retraite. Il garde toutefois espoir de retrouver ses sommes.
La police de Québec confirme qu’une enquête a été ouverte à la suite de la fraude dont aurait été victime le retraité Réjean Chabot. Selon nos informations, l’investigation est toutefois loin d’être simple, car beaucoup d’indices mèneraient les forces de l’ordre à penser que les suspects dans cette affaire se trouvent en territoire mexicain.

UNE BANQUE CANADIENNE UTILISÉE
Notre Bureau d’enquête a constaté que certains des virements effectués par le retraité ont été déposés dans une succursale de la Banque Scotia, une institution canadienne, installée au Mexique.
Les autorités américaines ont pourtant émis un avis en juillet 2024 pour avertir expressément les institutions financières d’être vigilantes en matière de fraude au timeshare et les enjoindre à rapporter toute activité suspecte. Aux États-Unis, au moins 6000 victimes ont perdu près de 300 M$ US entre 2019 et 2023 dans ce genre d’arnaque, qui permettrait aux organisations criminelles de financer le trafic de fentanyl.
«Il y a présentement une enquête en cours, et par conséquent, nous n’émettrons pas de commentaires à ce sujet», a réagi Mathieu Beaudoin, porte-parole de la Scotia.

QU’EST-CE QUE LE TIMESHARING?
Le timesharing, ou hébergement en temps partagé, consiste généralement à acheter un droit d’hébergement, qu’on s’engage à payer, année après année, jusqu’à l’expiration du contrat. Par exemple, on achète un droit de résider dans un complexe hôtelier dans le Sud moyennant certains frais.

Vidanta, une source de préoccupation particulière
Le complexe hôtelier où Réjean Chabot détient son timeshare est considéré comme une source de préoccupation particulière par les autorités américaines, puisque beaucoup de ses clients ont été victimes de fraude de la part de membres d’un cartel.
«À Puerto Vallarta [où Vidanta possède un complexe hôtelier], bastion du cartel [Jalisco Nouvelle Génération] et populaire ville de plage, les travailleurs d’hôtels sont régulièrement pressurisés par le groupe criminel pour faire fuiter de l’information sur les clients», indique un officiel cité par le New York Times en 2024.
Le complexe hôtelier n’a pas répondu aux questions de notre Bureau d’enquête. «Vidanta ne m’aide pas pantoute», a déploré M. Chabot.
Le Cirque du Soleil, qui entretient une collaboration artistique avec Vidanta, n’a pas souhaité commenter non plus.

UNE FRAUDE TRÈS BIEN FICELÉE
Voici quelques exemples des montants versés par Réjean Chabot ainsi que les raisons évoquées pour lui soutirer son argent.
- 24 janvier 2023: M. Chabot verse 10 172$ pour payer une prétendue taxe de vente sur son timeshare au Mexique. Le retraité trouve cette demande étrange, mais on l’assure que c’est essentiel et que cette somme lui sera bientôt remise par l’acheteur.
- 30 janvier 2023: Il débourse 13 665$ pour une prétendue nouvelle taxe d’enregistrement. Cette somme est exigée après une prétendue intervention d’un représentant de l’Unidad de Inteligencia Financiera (UIF). Si cet organisme existe réellement, les autorités américaines ont toutefois prévenu en 2024 que des fraudeurs usurpaient cet acronyme.
- 10 mars 2023: M. Chabot paie 15 000$ pour des prétendus frais de notaire et d’enregistrement après une nouvelle intervention de la supposée UIF. Pour le rassurer, le représentant de l’acheteur lui affirme qu’il ne paie qu’une partie des frais exigés, et que lui assume gracieusement le reste.
- 20 juin 2023: On demande 36 860$ à M. Chabot pour une prétendue pénalité. Cette fois, c’est l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), aux États-Unis, qui lui réclame cette somme. Encore là, les autorités américaines ont prévenu que des fraudeurs usurpaient souvent le nom de cet organisme.
- 25 juillet 2023: On lui réclame 36 860$ en pénalités auprès de l’OFAC. Encore une fois, le représentant de l’acheteur lui assure que cette somme – comme toutes les autres versées jusqu’ici – lui sera remboursée une fois la transaction complétée.
- 28 septembre 2023: Un autre organisme mexicain réclame 45 291$ en «frais de dédouanement». Les sommes sont versées à la prétendue Banco de México, croit M. Chabot. Si le site de cet établissement est opérationnel, l’ambassade du Mexique à Ottawa nous a toutefois confirmé qu’il est frauduleux. «Votre lecteur a affaire à des criminels», a écrit sans détour le porte-parole Alfonso Vera Sanchez.
- 11 novembre 2023: Le représentant de l’acheteur lui confirme que son dossier est en règle au Mexique. Mais qu’il doit payer 27 693$ pour réinscrire son dossier à l’OFAC, aux États-Unis.
- 11 juin 2024: Il paie une caution finale de 79 389$ à l’OFAC pour un «audit» de son dossier. Le même jour, il envoie 66 772$ à la firme US Commercial Escrow Corp, qui s’engage à payer pour lui une dette due à son timeshare Vidanta. Or, l’argent ne s’est jamais rendu au complexe hôtelier.

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